En simplifiant, le monde manifesté est ce qui est visible. Tout y est explicable et on peut y développer un savoir. L’Invisible ne se voit pas; il est non-manifesté et échappe au mode de perception rationnel; c’est le monde des causes, au-delà des apparences. Il sous-tend toute la création et contient toutes les lois causales, toutes les fonctions créatrices. On ne peut le voir matériellement. Il n’est pas éclairé par une lumière physique. Les Evangiles disent que l’on a des yeux pour ne pas voir. Les perceptions matérielles nous aveuglent. Le savoir y est inopérant; seule la Connaissance est utile. Encore au-delà, se trouve la Cause qui est dans l’incréé.
L’Invisible peut être symbolisé par le pyramidion qui n’est pas posé sur la pyramide, par la cathédrale qui n’est pas achevée car il en manque les pierres invisibles. Au cœur de la Pierre Cubique qui révèle les lois de la manifestation, se trouve un double tétraèdre non-manifesté.
Le visible est comparable à un petit bateau, temporel et provisoire, qui ne dépend que de l’immense océan éternel de l’invisible. Dans l’océan, les choses, jamais nées, sont et ne deviennent jamais. Sur le bateau, les choses naissent, deviennent toujours et ne sont jamais. La seule nourriture des initiés est cet océan, car le reste est mortel. Il est le domaine de l’Esprit, en contrepoint de celui de la matière. Les deux sont complémentaires et ne s’opposent pas pour celui qui a une conception divine de la création. Ils ont été créés en même temps.
Visible et Invisible sont deux mondes inversés. Par exemple, dans le visible, le soleil culmine au sud et à midi; dans l’invisible, le soleil primordial culmine au Nord et à minuit. Le monde terrestre est à l’inverse du monde céleste. C’est par le principe d’inversion que l’on peut aller dans l’Invisible.
Non seulement celui-ci nous entoure, mais il nous baigne, nous habite à chaque instant. La démarche initiatique ne consiste pas à vivre avec lui mais dans lui. Il est la vie même. Tout découle de lui, comme le démontre la suite des Nombres. Du Un, invisible, inconnaissable, ineffable, sort le multiple et les mille et une formes de la création. Tout ce qui relève du Mystère, de la pensée, de la conscience est invisible. Là gît l'Idée qui deviendra visible en réalisant la forme, faisant que ce qui est en bas est comme ce qui est en haut. La pensée seule peut contempler l’Invisible. Comme dit Einstein : « Il y a un abîme insurmontable entre le monde du sensible et celui du conceptuel ».
Le rôle des initiés est de muter l’Invisible en visible, de donner forme à ce qui est perçu dans le ciel. Tout autre travail relève du profane. Une Œuvre repose toujours dans l’Invisible, sinon elle est profane. Là est le seul monde réel qu’un initié puisse envisager.
Il interroge tout homme. La plupart se détournent et meurent, à jamais. Si l’on a le courage de l’affronter, une vie en éternité est possible. Comme dit Hermès Trismégiste, les apparences nous charment, on refuse de croire à ce monde des causes.
Il n’est accessible que par une lumière différente de celle perçue par nos sens. Il est dit qu’en entrant en Loge, le nouvel initié n’aperçoit rien que l’esprit humain puisse comprendre; un voile épais lui couvre les yeux. Mais en avançant dans l’Invisible, le voile se disperse et les perceptions s’élargissent. Il s’agit d’utiliser la lumière intérieure que tout être doit développer en lui. A la naissance, chacun est porteur des potentialités de réalisation de sa finalité. Pour cela, il suffit de découvrir l’usage réel des cinq sens qui sont les supports de perceptions immatérielles. L’intuition permet alors, sans aucune certitude définitive ni idée figée, le contact direct avec la vie. Là est le bonheur total.
On ne peut aller seul dans l’Invisible. On y voyage par la Règle, les symboles et le rituel. Par ces trois éléments, il n’y a aucun danger de se perdre. Mais il existe des mondes intermédiaires qui n’ont rien à voir avec le monde des causes, chers aux occultistes, sans intérêt et dangereux. Celui qui va dans ce leurre n’est pas initiable.
La porte de l’Invisible est celle du Temple, représentée sur le Tableau de Loge. A chaque tenue, on la franchit et on pénètre dans le ciel. C’est pourquoi on demande à l’Apprenti de percevoir la Loge comme un cosmos. Tout commence par là. Pendant une tenue, on voyage au Paradis qui est donc bien accessible ici et maintenant. La Loge existe donc pour faire le pont entre visible et Invisible. On y trace des outils pour que celui-ci soit perceptible.