Dans notre système occidental de pensée, elle est limitée au sensible, au tangible, à ce qui est perçu par nos sens ou leurs prolongements techniques. Nous sommes et restons dans le domaine du quantifiable, et ceci est une borne, une impasse mises devant une perception holistique, telle que présentée traditionnellement depuis des millénaires par des « Initiés passés à l’Orient éternel ». La conception traditionnelle ne s’est jamais limitée à la seule matière. Elle a toujours laissé une place au moins égale à l’immatériel, à l’invisible, au qualitatif Elle a même fait découler la matière de l’Esprit ! Pour cela, elle n’a pas rejeté la métaphysique, estimant que la dimension que celle-ci exprimait permettait d’avoir une conscience juste de la réalité dans sa globalité.
L’homme, par nature, est attaché aux apparences, au monde dit concret. Ce qu’il perçoit par les sens physiques lui semble être durable. Or ce qui est apparent ne peut être réel. La connaissance des seuls corps ne pourra jamais rendre compte de la nature de l’univers. D’ailleurs la physique moderne commence à estimer qu’on peut se passer du concept de matière pour raisonner uniquement sur l’énergie. Les explications modernes, aveuglées par le rationalisme et son succédané le matérialisme, sont incomplètes. Elles négligent ce qui sous-tend et anime l’univers. Elles buttent et butteront donc éternellement sur le mystère de la vie si elles s’obstinent à rester à ce niveau.
Le bandeau mis au postulant est là pour fermer les yeux à l’apparence et les ouvrir à ce qui est. Cette distinction est connue depuis toujours, même si elle est oubliée aujourd’hui. Déjà Nicomaque par exemple affirmait : « Les choses immatérielles, éternelles, constituent la vraie réalité. Mais ce qui est sujet à la formation et à la destruction n’est pas actuellement réel par essence ». Seul ce qui est invariable constitue l’ultime réalité. C’est pourquoi le Compagnon apprend à voir le temple dans le symbole intemporel qu’il incarne et non dans sa forme transitoire.
La matière n’est que la forme achevée de la manifestation. Mais pour répondre à sa finalité, elle nécessite un élément d’animation qui lui est à la fois extérieur et transcendant, et en même temps immanent. Ce qui est réel ne peut être connu que par ce qui en l’homme est de même nature, c’est à dire non destructible. Il s’agit de la conscience, de l’esprit, de l’étincelle divine, peu importe le nom qu’on lui donne, mais qui est issu du Principe de création, animateur de toute chose ici-bas. La réalité intègre donc cette dimension qu’est la Conscience universelle dont chacune des formes créées est porteuse, qu’elle le veuille ou non. La partie invisible du vivant est accessible à la pensée synthétique de l’être (débarrassé de son mental) et qui a son siège dans le « cœur-conscience» de chacun.
C’est par une juste conception de cette partie aux dimensions infinies et éternelles, que l’homme peut atteindre à la Connaissance. La réalité est dans le principe et non dans la manifestation, hors du temps. Elle est l’extériorisation de la pensée du Principe qui, à travers les Nombres, expression des lois causales et des fonctions créatrices, a généré les mille et une formes de la création. Le Nombre en est l’essence éternelle. Einstein le confirmait en précisant que le principe fondamentalement créateur se trouve dans la mathématique, accessible à la pensée pure pour appréhender le monde.
Tout cela se révèle par le mythe mis en acte dans le temple, pour donner la seule représentation possible qu’ait trouvé l’homme de cet invariant. Il est condensé dans la lumière unique qui brille perpétuellement sur le plateau du Vénérable Maître. Sa conquête devrait être le seul devoir impératif de l’existence. L’initié travaille la Pierre et en extrait une perception, ainsi peut-il passer du virtuel au réel, voire créer une nouvelle réalité immortelle. Tel est sans doute l’élargissement spiralé de la conscience universelle.