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I.3.b LA CONCILIATION DES CONTRAIRES (mouvement ; dialectique ; jeu et humour)

          Après avoir vu le Verbe, nous appréhendons ici le concret. En astrologie, le signe des Gémeaux est lié à la planète Mercure dans lequel elle trône. C’est la planète symbole du mouvement, la plus rapide du système solaire car elle est la plus proche du soleil. Bien qu’elle tourne sur elle-même, depuis la terre on ne perçoit qu’une face car sa vitesse de révolution (88 jours) et sa vitesse de rotation (59 jours) sont très proches. Mercure a une face visible et une face cachée, dualité renvoyant à celle des Gémeaux qui « sont les deux pylônes du Temple entre lesquels le soleil apparaît ». Voilà une invitation à considérer la dualité dans la résolution de laquelle les choses peuvent naître. Le signe des Gémeaux est le premier signe double dans le zodiaque, la première source de dualité ; il correspond à la fin du printemps, à l’épanouissement de la nature. Celle-ci s’exprime en montant en puissance par sa mise en mouvement et par la matérialisation de potentialités. La dualité est à la fois source d’échanges et de confrontation pouvant générer une synthèse dépassant la simple complémentarité. Cela suggère donc une méthode pour approcher la dualité inhérente à chaque être ou chaque chose.

          Voyons donc cette méthode, la conciliation des contraires, ce qu’elle est, comment elle se met en œuvre et ce qu’il en résulte.

          Le cerveau humain procède par comparaison en séparant et opposant les éléments. Ce fonctionnement naturel entraine souvent un conflit entre ce qu’il perçoit être une erreur et ce qu’il perçoit être une vérité. Il faut alors comprendre que chaque chose attire son contraire. Le bien attire le mal et inversement ; valoriser la vertu éveille l’attrait du vice ; pousser quelqu’un à faire le bien obtient souvent un résultat contraire. Pour aller vers ce qui semble bien, il faut envisager ce qui semble mal. On ne peut vraiment voir le beau qu’après avoir vu ce qui ne l’est pas. Les contraires s’engendrent immanquablement comme le Yin ne se conçoit pas sans le Yang. Lumière et ténèbres sont en fait inséparables. Une chose n’est perceptible que par l’existence de son contraire qui permet la comparaison. Une colline est haute par rapport à la vallée mais bien basse face au Mont Blanc.

          Tant que ces couples submergent la pensée, la spiritualité s’estompe. A nous de voir que les contraires ne s’excluent pas, ne s’anéantissent pas ; ils se succèdent et se complètent. La vie manifestée est opposition cyclique de principes complémentaires. Ainsi l’Orient et l’Occident semblent s’opposer mais l’un ne peut exister sans l’autre. La conscience naît toujours de la comparaison. La vie n’est qu’une suite de dualités qui s’entrecroisent, se complètent et s’équilibrent dans un mouvement qui prolonge la création et cela en une multitude de phénomènes issus de l’unité primordiale.

          Le mot conciliation vient du latin « conciliare », unir, assembler, voire de « conciere », assembler, mettre en mouvement, exciter. Contraire vient de « contrarius » qui signifie «  qui est en face, opposé ». Cela rappelle l’origine du signe des Gémeaux, un couple mythologique, un dieu et une déesse, ou un homme et une femme nus, ou encore l’androgyne/Rébis symbole de l’union indissoluble des principes opposés de l’œuvre. Ce peut être aussi les jumeaux Castor et Pollux : « A Sparte, Castor et Pollux avaient la figure de deux morceaux de bois parallèles liés par deux autres morceaux en travers ; et cette figure très ancienne est encore celle qui désigne les Gémeaux dans le zodiaque » (Winkelmann dans Histoire de l’art chez les anciens). Cette description est celle du symbole du signe des Gémeaux. Notons que géométriquement, ce symbole unit deux cercles distincts (cf. schéma ci-dessus)

          Les gémeaux peuvent aussi être le dieu romain Janus, dieu du passage, de la porte : deux montants entre un linteau et un seuil. Il y a donc un passage entre les deux aspects. D’ailleurs, une des étymologies possibles de Janus serait le verbe « aller ».

          Mais alors, comment passer ? Rituellement, le banquet de la saint Jean d’Hiver est suffisant puisque c’est celui de la conciliation des contraires et de la communion avec l’Architecte des mondes. Malheureusement, cela ne suffit pas à l’homme, quel qu’il soit. Trois moyens nous sont proposés ici pour pallier nos insuffisances, pour basculer d’un pôle à l’autre par une mise en mouvement de l’esprit, les distinguer tout en les transcendant dans un équilibre dynamique. Ces trois moyens ont en eux-mêmes chacun un danger à éviter, car ils contiennent également une dualité, ici négative et positive.

          La dialectique est un des arts libéraux. Ceux-ci rassemblaient à l’antiquité tardive l’ensemble des sciences, classées en deux catégories : le trivium et le quadrivium. Ce dernier concerne les techniques. Le trivium concerne l’orient et traite du langage où les mots sont assemblés. L’initié, en occident, est avant tout un artisan du langage. La dialectique en fait partie et pourrait s’appeler l’intelligence du cœur, faisant appel essentiellement au cœur-conscience pour atteindre la nature profonde des choses. Platon précise : « Il n’y a pas d’autre recherche que la dialectique qui n’entreprenne de saisir méthodiquement, à propos de tout, l’essence de chaque chose » (La République). Le mot vient du grec « hê dialektikê », l’art du dialogue, l’art de mener un raisonnement. « Dia » signifie de part et d’autre, ce qui renvoie aux contraires et à la capacité de lire à travers ce qu’est l’intelligence intuitive.

          Il s’agit alors de mettre les contraires dans de justes rapports, tels que l’équerre du Vénérable Maître les révèlent. Ces rapports d’harmonie permettent la conciliation des opposés et de faire régner l’harmonie. Comme le dit saint Bernard : « Une seule pierre d’angle réunit deux murs venant de points opposés ». Les opposés sont ainsi mêlés comme les quatre éléments le sont.

          On a alors une pensée en mouvement qui reconnaît l’inséparabilité des éléments contradictoires et qui permet de lier méthodiquement les idées. La conciliation n’est pas un compromis mais un assemblage qui tient de lui-même, hors du temps. Concrètement, cela se traduit dans la Loge par un débat acceptant toute critique positive, ouvert à toute remise en question où chacun apporte des idées et reste à l’écoute du frère, et où les points de vue se reconsidèrent. Sans étalage de savoirs derrière lesquels nous pourrions nous réfugier, l’échange est subtile où personne ne cherche à convaincre, dans un esprit commun pour faire naître ce qui n’a pas encore été formulé. L’évolution de la pensée se fait en laissant parler le cœur et le Tableau de Loge joue le rôle de creuset par son recueil de toutes les paroles échangées ; cela aboutit au rapport communautaire lors de chaque tenue si le frère sait se situer en ce centre qu’est le Tableau de Loge.

          Le danger est que cette technique se ferme et tourne au discours simple, proche d’une vérité bloquant toute ouverture, éventuellement brillant mais non intelligent, plus mental que spirituel et devenant dogmatique. La pensée doit rester en permanence en mouvement. En effet, la dialectique doit rester liée à la grammaire (le Verbe) et à la rhétorique (la Tradition) ; elle n’est qu’un aspect du trivium, de l’expression du langage et ne peut prétendre seule à une approche globale.

          Le deuxième moyen est celui du mouvement. Ne pas se contenter de ce que l’on voit ou entend mais donner du chemin à ses pieds et expérimenter. Cela commence par l’intégration à la Communauté.

          Si le Bélier est le plus impulsif des signes, le Taureau le plus fixe, le signe des Gémeaux est le plus mobile. L’astrologue André Barbault dit de la destinée du natif Gémeaux : « qu’il est un Arlequin jouant sa vie ou vivant son jeu. Il est à la fois partout et nulle part ».

          Sur la carte de l’homme zodiacal, ce signe correspond aux deux bras qui permettent la mise en mouvement de l’action consciente. L’Apprenti devient actif en dégrossissant la Pierre Brute au moyen de ses deux bras. Par le nombre Trois, il entre en mouvement sur la voie initiatique. Les Gémeaux, troisième signe du zodiaque, permettent le mouvement et l’action consciente pour prendre à bras le corps la vie sur ces deux aspects, invisible et visible, haut et bas.

           Ce mouvement s’apprend par les techniques du croisement et de l’inversion. Le symbole des Gémeaux est un carré long argenté. La diagonale du carré long est le moyen de concilier petit et grand côté et ainsi de faire naître un rapport fécond. Ce tracé simple nous oblige à changer régulièrement de position, à ne pas nous attacher à des opinions mais plutôt à des perceptions multiples. Les opinions figent et ne mènent qu’à l’affrontement, souvent au dogme. Ainsi peut-on écouter son frère en ouverture complète, sans jugement. Il faut savoir refuser de voir les êtres et les choses uniquement avec ses propres lunettes. C’est déjà en cela que la démarche individuelle est vouée à l’échec.

          Les croisements sont nombreux dans la Loge ; citons le maillet et le ciseau, l’épée de l’Expert et la canne du Maître des Démarches, les trois Grandes Lumières ; tous soulignent l’animation des frères, de l’énergie spirituelle, des fonctions.

          Ce mouvement est celui du Yin et du Yang qui s’enchevêtrent, se combinent sans se confondre pour ne faire qu’un tout, source de tous les possibles.

          Le dépassement du couple des contraires s’effectue au mieux par la pensée ternaire qui permet d’échapper à la vision binaire profane et se déploie par les Nombres Trois-Cinq-Neuf qui rendent la Loge juste et parfaite.

          Le croisement des notions provoque, par réaction, une prise de conscience, un éveil à la vie en esprit, un troisième terme porteur de l’unité principielle et en capacité de créer la dualité suivante. C’est ce que font tous les frères dès leur entrée dans la Loge en réalisant le « Trois en Un ». Confrontant leur désir à leur engagement de participer à la construction du Temple, s’appuyant sur la Règle, ils font apparaître un troisième terme qu’est leur fonction de « porteur de la lumière » ; « S’il a soif de l’Eau qui contient la vie, il fera naître la Lumière en lui, et il renaîtra », est-il dit dans le rituel d’initiation.

          Le danger du mouvement est bien sûr d’être compensé par de l’immobilisme, le refus du travail ou de remise en question, le refus du don et donc un blocage de la vie, celle de la Communauté ou celle de soi-même. L’intégration à la Communauté ne peut plus se faire. Un autre danger serait la précipitation chaotique qui nuirait à toute évolution de conscience ; il faut savoir pratiquer des instants de digestion, de méditation, pour mûrir et assimiler ce que nous vivons.

          Le troisième moyen est le jeu. Il s’agit de s’oublier, d’oublier son ego. Un enfant qui joue s’oublie lui-même. Le jeu, c’est la jeu-nesse. Voyons la vie et la création à laquelle nous sommes conviés à participer, comme un jeu où l’on s’oublie. Hermann Hesse, dans le Voyage en Orient nous le rappelle : « Elle est justement cela la vie, quand elle est belle et heureuse : un jeu. Malheureusement, on peut faire d’elle tout autre chose… mais elle n’en devient pas plus belle ».

          Le jeu est en général une lutte, une opposition (à un adversaire ou soi-même) et qui permet d’apprendre à gagner, c’est-à-dire à surmonter cette opposition.

          En Loge, par le jeu communautaire les dualités s’équilibrent et se concilient. Se confronter aux évènements donne l’envie d’avancer ; trouver une porte fermée donne envie de l’ouvrir. Le jeu de la vie, moteur de notre désir, nous conduit à bien faire face aux autres, à nous-mêmes et à l’univers. Toute difficulté nous met en état de recherche, ce qui donne du sel à notre démarche ; nous devons inventer ou recréer des solutions pour aborder les choses sous des angles de vue différents.

          Mercure, que nous évoquions plus haut, est un dieu ludique. On lui a attribué notamment le jeu des osselets. Celui-ci peut être interprété comme un jeu avec la mort qui consiste à la tenir en main, lui faire face et l’amener à faire partie de la vie, faire descendre l’au-delà sur la terre et faire monter la terre vers les cieux, les unir dans un état suspendu ; voilà un bon moyen de les concilier

          Les jeux initiatiques approchent le jeu de la vie et sont donc sacrés, proches d’un rite. Une tenue, incluant le banquet, peut être considérée comme un jeu de rôle où aucune fonction ne l’emporte sur les autres mais où toutes se concilient, l’Orateur apportant la Règle (du jeu bien sûr), le Maître des Démarches le mouvement (pas de jeu sans mouvement)…, le Vénérable Maître dirigeant en un jeu de mutation permanente et développant l’art de créer qui est tout simplement le jeu des fonctions. Le Tableau de Loge peut être considéré comme une concrétisation du jeu divin ; et notre langue sacrée, celle des symboles, est aussi un jeu. Tel est le jeu secret des dieux qui fait apparaître des choses irrationnelles, source de transformation. Tout jeu initiatique est irrationnel (le hasard disent les rationnels) et crée des ponts, des liens.

          Le frère doit jouer, comme une enfant, avec l’humour qui est une expression de l’humilité. Pour que cela marche, il faut beaucoup d’humour et de dérision de soi-même. Jeu vient du latin « jocus », plaisanterie, jeu en paroles. Plus même, le rire, souvent né de l’absurdité des contextes ou de la rupture entre deux situations contradictoires, amène à la réflexion et libère une énergie qui rend plus lucide, c’est-à-dire porteur de lumière.

          Jeu et humour sont également des gardes fous et un bon moyen de prendre du recul par rapport à nous-mêmes, au-delà du plaisir qu’ils procurent. Le mot humour provient de l’anglais humor, lui-même emprunté au latin « humor » qui désignait les fluides corporels qui influençaient le comportement. L’humour a bien un effet sur l’homme. S’il est bienveillant, l’enseignement qui l’utilise est souvent plus performant. Par proximité phonétique, ce mot est proche de l’amour qui a également pour effet de concilier des contraires ; dans un couple, chacun travaille selon son Nombre mais tisse avec l’autre, et cela peut provoquer une création.

          Voir la vie comme un jeu nous préserve de nous prendre au sérieux tout en nous appliquant à agir sérieusement. Cela nous mène au détachement par rapport à nos idées, facilite donc les remises en cause et évite de devenir ennuyeux pour nos frères.

          Mais là aussi, il y a danger. Tous les jeux ne sont pas initiatiques. Là encore, la subtilité est de rigueur. On ne peut dire ou faire n’importe quoi ni n’importe quand. Il y a des limites au jeu et à l’humour. On ne peut pas jouer et rire de tout, avec tout le monde, à tout moment. Le frère doit toujours tenir compte de l’acte juste au moment juste. Le respect des choses et des êtres est essentiel, sans provocation qui ferme l’autre.

          Ces trois moyens étant maîtrisés, il faut avoir conscience qu’ils s’appliquent essentiellement rituellement et sous deux formes. La première est celle du Temple. Celui-ci est l’intérieur tout en étant l’image de l’univers ce qui lui permet de concilier l’intérieur et l’extérieur ; ainsi s’unissent le dedans et le dehors. Les deux colonnes, les deux Surveillants, les luminaires, le Zénith et le Nadir, le visible et l’invisible… sont autant d’aspects de complémentaires indissociables de la création.

          Reprenons quelques exemples : les deux colonnes reposent sur la Terre et relient à la voûte céleste, formant un pont entre les rives des mondes visible et invisible ; le passage entre elles charge en énergie les êtres et se révèle une dynamique transformatrice. Les apprentis et les compagnons respectivement sur leurs colonnes sont complémentaires. La Pierre Brute et la Pierre Cubique ne sont-elles pas sœurs jumelles, toutes deux issues de la même Pierre Fondamentale ? D’ailleurs l’Apprenti lors du rituel d’initiation lorsqu’il est agenouillé face à la Pierre Brute n’est-il pas face à sa jumelle ? Lorsque deux frères font l’accolade fraternelle, ne sont-ils pas frères jumeaux à cet instant ? Le Maître des Démarches se déplace avec sa canne, assurant ainsi le lien entre toutes les fonctions de la Loge ; cela évoque le caducée, un des symboles liés à Mercure, un bâton avec deux serpents entrelacés qui se font face au sommet ; ils symbolisent le soufre et le mercure quand ils se trouvent en parfait équilibre. La chaîne d’union aboutit à une fusion entre les frères sans les confondre pour recréer l’homme universel. Toute cette architecture du Temple fait percevoir que ces dualités sont des axes structurants, porteurs des Lois d’Harmonie et de forces créatrices.

          La deuxième forme s’incarne dans la fonction de Vénérable Maître, médiateur entre le haut et le bas, le maître d’œuvre qui connaît les capacités de chacun des ouvriers et les potentialités des matériaux de façon à les associer afin que toute dualité devienne créatrice et que les oppositions apparentes soient vécues simultanément. La Loge formule sous la direction du Vénérable Maître et s’adresse au Tableau de Loge ou à la table du banquet, ce qui exclut tout affrontement stérile.

          L’initiation dans sa dynamique concilie toutes ces forces pour les unir et en faire jaillir un troisième terme. Dès que le deux apparaît et s’unit, le trois peut s’exprimer. Le Temple, structurant par essence, permet d’entre dans le concret en donnant toutes les clefs d’assemblage si la pensée qui s’y exprime est en mouvement.

          C’est de cette conciliation des contraires et non des oppositions stériles que peuvent naître tous les moments de création propres à la démarche initiatique. La parole qui circule se nourrit des contraires, les fusionne. Ce qui est extérieur devient intérieur, ce qui dedans est en dehors ; le plus haut et le plus bas se rencontrent en un même cercle. Dès lors il est possible d’échapper à la mort en la vivant.



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