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III.2.c La remontée de la Parole au Verbe

          Il ne faut pas confondre une chose et une autre, dit notre rituel de table. C’est tout particulièrement le cas avec la Parole et le Verbe, deux termes intimement liés, à tel point qu’ils sont devenus synonymes dans le langage courant. Le Prologue de Jean en suggère toute la différence. A partir de là, nous pourrons mieux percevoir comment fonctionne magiquement la Parole et alors, voir qu’elle est le seul moyen pour remonter au Verbe.

 

         Partons donc du Prologue de Jean dans la Bible, et, selon les versions, les deux mots sont utilisés en choisissant l’un ou l’autre. Voici le début de celle que notre Loge utilise et une autre plus classique (notons que la version canonique de 1955 retient le mot Verbe) :

Dans le Principe est le Verbe

Et le Verbe est avec Dieu

Et le Verbe est Dieu.

Il est dans le Principe avec Dieu.
Tout fut par lui, et sans lui rien ne fut.
Le Verbe est la vie,

Et la vie est la lumière des hommes.

 

Au commencement était la Parole,

Et la Parole était avec Dieu,

Et la Parole était Dieu.
Elle était au commencement avec Dieu.

Toutes choses ont était faite par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle.
En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes.

 

          Outre l’absence de temporalité dans la première version, il n’y a pas vraiment de différence au premier abord. Le Prologue a été écrit en grec avec le mot « logos », que l’on traduit classiquement par parole, discours, raison, relation. Les traductions en latin, en hébreu puis en français sont souvent source de transformation du texte initial. Il semble que « logos » recoupe deux notions ayant une seule et même origine. La version latine est au féminin, la parole mais en grec le mot est masculin, donc le Verbe. Il y a deux niveaux différents, l’un divin et l’autre humain. La traduction du texte penche ainsi soit du côté humain, soit du côté divin inaccessible. Retenons ici le mot Verbe pour le Prologue.

         La troisième ligne dit que le Verbe est Dieu. Il est, indépendamment de l’homme ; immuable dans sa nature, il est le Un qui ne peut être appréhendé par la raison humaine et qui ne peut s’incarner dans aucun langage.

          La deuxième ligne dit que le Verbe est avec Dieu. Cette dualité implique la dynamique de la création et l’apparition de la vie. Le Verbe est dans le Principe créateur, son émanation. Il n’est donc approchable qu’en côtoyant le Principe à travers ses multiples formulations. Il en est tout à la fois la pensée, l’action et l’expression, et ne peut se vivre que dans le mouvement qui est vie, dans les rites et les offrandes, dans tout ce qui est utile à l’œuvre, à tout ce qui rend lumineux (cf. « Akh » en hiéroglyphe égyptien qui signifie spirituel, brillant, utile, bienheureux). La Lumière est un condensé d’énergie, le milieu matriciel de la création favorable à la propagation comme à la fécondité du Verbe. La clef est dans la nature car le monde est l’effet du Verbe : « En réalité, toute l’existence n’est que parole : la terre, le ciel, le soleil, les montagnes, les déserts, les océans, sont la parole... La science et la sagesse divines sont la parole, et l’espace et le temps sont les formes qu’elle revêt » (La parole secrète. L’enseignement du maître soufi Rûmi. Sultan Valad. Le sens de parole dans ce texte est celui de Verbe).

          La première ligne dit que dans le Principe est le Verbe. Ce dernier est donc à l’origine, la fonction causale d’où tout découle. Il est au plus haut, dans la tête (la traduction littérale de cette première ligne selon Chouraqui est : En tête, lui, le logos) et sûrement pas au commencement car cela implique une temporalité absente du texte (absence de verbe dans les quatre premières lignes du texte grec). Il n’est ni engendré, ni créé, ayant sa source dans l’incréé. Il est le Feu du Principe, la vie la Lumière. Cela s’illustre bien par le nom du dieu égyptien du soleil, Râ, donc de la lumière qui nous éclaire, et qui s’écrit (voir le tracé ci-dessus) avec la bouche, symbole du Verbe, et du bras, symbole de l’acte. La Lumière est le Verbe en action, le principe de la transmutation, en rapport étroit avec la Maîtrise. Elle est la révélation du Feu qui est Un. Lorsque le Verbe sort de son origine, il devient deux mais reste dans le secret. Par une nouvelle dualité, il prend corps et s’incarne par la Parole, s’éveille ainsi et se manifeste. Celle-ci révèle le Verbe, qui, lui, est toujours au-delà de la Parole. Elle est le support du Verbe qui est immuable comme un symbole est une lettre de la langue sacrée ; elle est une force qui peut animer la pensée humaine. Elle est au Verbe ce que l’existence est à la vie puisque son origine est dans le monde manifesté et qu’elle appartient au temps des cycles. Elle a une forme adaptée au lieu et au temps du moment. La Parole est le Verbe dans sa manifestation. La Bible ou le Coran ne sont pas le Verbe mais une parole formulée par des hommes sages et connaissant pour s’approcher de la pensée divine, faire entrer dans le monde des causes, entrer dans l’invisible et donc être un moyen de transcendance. Cela n’est possible que si le Verbe est l’essence de la Parole. C’est ce qu’écrivait Isha Schwaller de Lubicz dans Her-Bak Disciple : « Chaque signe-lettre (hiéroglyphe ; pour nous, symbole) a trois attributs : la forme, le nombre et le son. Le son, modulé par prononciation de la lettre, est son attribut essentiel ; c’est son Verbe, donc le principe de son action magique ; ceci t’explique pourquoi les initiés sont priés, au début de certains textes, de ne pas les prononcer à haute voix s’ils en connaissent la lecture secrète.» La Parole, née du Verbe, son enveloppe pourrait-on dire, a pour finalité de se développer et de se manifester dans la matière. Elle amène dans le monde ce que le Principe de création a laissé dans l’incréé.

 

         Nous pouvons maintenant voir comment fonctionne la Parole. Exprimée par une Communauté initiatique à partir du mythe de création, elle doit obéir à des critères d’efficacité, ce qui ne l’empêche pas toujours de se perdre si celle-ci ne respecte pas un juste mode de fonctionnement.

          Seule une Communauté initiatique peut formuler par une œuvre mais elle doit d’abord devenir « ma-khrou », expression égyptienne signifiant être justifiée, juste de voix (« ma » signifiant exact en parole, vrai, juste, sincère, en ordre), donc qui possède la Parole en harmonie avec le Verbe créateur. Pour cela, elle part du mythe de création, profondément vrai et riche en tant que Parole fondatrice. A partir du mythe, développé par un rite, il est possible de formuler. Mais ce qui est alors formulé n’a pas que le sens que veut donner celui qui s’exprime ; cela a également le sens que lui donne celui qui écoute. Tout part donc du rituel, prononcé en justesse. « L’initié est celui qui transmet une parole d’un dieu à un autre dieu » (Texte des sarcophages). Dans le rituel, ce sont des fonctions de création (offices) qui s’expriment au travers de Frères et qui donnent vie, qui font que ce qui est exprimé est du Verbe révélé, éveillé, retrouvé. Dans le Temple couvert, seuls des nombres et des fonctions agissent, pas des hommes, rendant le Un présent bien qu’inaccessible à l’humain, le Principe sous forme de son démiurge, le Grand Architecte de l’Univers. L’œuvre est alors possible, rassemblant par le travail de tous les Frères, des morceaux épars de paroles qui peuvent être rassemblées en un tout cohérent grâce au tronc des offrandes qui reçoit les métaux et les travaux, grâce au trône de la Veuve effleuré par tous ceux qui sont présents (la Veuve reconnaît ainsi la qualité du don des Frères), par le travail exhaustif du rapporteur et la planche tracée du Secrétaire qui rend perceptible et vivant l’esprit qui a animé la tenue. Tout cela retourne à l’Orient, vers l’incréé.

          Cependant, pour que le Verbe puisse circuler dans le Temple, celui-ci doit être hermétiquement clos de l’intérieur. C’est le Vénérable Maître, en tant qu’alchimiste, qui effectue ce scellement par un coup de maillet et la phrase rituelle : « Le plan du Temple est tracé.» Le Couvreur vérifie que l’acte a été accompli en justesse. Une fois le vase scellé, les Lumière/Verbe issus de l’au-delà sont transmis en justesse de voix par les Initiés passés à l’Orient éternel à travers le couple Vénérable Maître/Passé-Maître (regard sur l’équerre formée par la canne du Maître des Démarches et l’épée de l’Expert, lecture du Prologue de Jean). La porte de l’Orient s’entr’ouvre et le Verbe vient donner la vie et ses mystères, se prolonger dans l’invisible, rendant accessible la pensée du Grand Architecte. Au cour de la tenue principielle, il y a à la fois descente et remontée, sans aucune contradiction. Les travaux sont des paroles mortelles qui s’inscrivent dans le Tableau de loge et permettent le remontée au Verbe à condition de formuler sans cesse, inlassablement, pour laisser derrière nous une bonne Parole, jamais figée dans un dogme. C’est la transmission en donnant vie aux symboles : « Dès lors, mes Frères, nous devons tout mettre en œuvre pour que la Parole sortie de la bouche du Père et venue jusqu’à nous par la médiation de la Vierge, ne s’en retourne pas à vide » (saint Bernard). Alors, la ternarité Vénérable Maître/Orateur/Secrétaire fait vivre le Verbe. L’Orateur veille à ce que les formulations soient bien en harmonie avec la Cause des causes, le Secrétaire préserve cette formulation et révèle ce qui est essentiel, le Vénérable Maître veille au retour à l’unité des formulations.

         Quelle sont les conditions d’efficacité de la Parole formulée dans le Temple ?

         Elle doit d’abord s’appuyer sur une Règle vécue en justesse qui crée l’harmonie communautaire. La Règle fait partie des trois Grandes Lumières et supporte toujours l’Équerre et le Compas. Assemblées rituellement, ces trois permettent à la Lumière de prendre une forme concrète, de devenir outil de bâtisseurs et d’apparaître comme Verbe créateur. En son nom de Règle, la Lumière est la coudée, mesure de référence qui donne les dimensions du Temple. Elle est le Maître qui donne mesure et justesse à toute chose. La Règle est donc l’incarnation du Verbe en tant que loi de création du monde. Lien direct avec l’Orient, elle permet d’être dans l’axe de l’Orient et d’en avoir conscience. Elle sous-tend les rituels issus d’une longue tradition. Ceux-ci font suivre le chemin vers le Verbe.

         Elle doit ensuite s’appuyer sur un langage, celui des symboles et des nombres. Le symbole exprime le mystère de la vie. Court-circuitant le mental, il permet de remonter vers le Verbe, de le vivre, de tourner le regard vers la Lumière, vers la Cause. Tout symbole dans le Temple est une porte vers le Verbe. Manier l’alphabet sacré donné par le Tableau de Loge permet de formuler. Le tracé du Tableau de Loge est un élément essentiel du rituel, car en lui-même il est une parole sans vibration perceptible par l’oreille, équivalente aux chapiteaux des cathédrales, aux pierres qui parlent. Puis, quand chacun s’exprime en loge, par l’offrande de son travail, il s’adresse à ce Tableau qui s’enrichit sans cesse en complément des fenêtres qu’il porte et qui sont les paroles des Initiés passés à l’Orient éternel. Chacun s’exprime selon les nombres qui lui sont connus, selon son niveau de conscience. Par l’ensemble des Frères de la Loge, il y a un jeu de nombres qui permettent de remonter vers le Verbe, de la même manière que le jeu de la marelle mène au ciel. Il est primordial de vivre son nombre et de le formuler avec rigueur et justesse.

         Enfin, la Parole doit être structurée et construite, non pas en thése-antithèse-synthèse ce qui est purement mental et binaire, mais en mode ternaire, selon les trois Piliers, la Sagesse qui crée (concept), la Force qui anime et l’Harmonie qui exprime. Là est le seul moyen de formuler en justesse avec une pensée en accord avec le Verbe en créant une articulation entre l’incréé et le monde visible, le monde des formes, en témoignant de la puissance divine.

          Mais la Parole peut se perdre. C’est le cas dans le mythe de l’être universel démembré et reconstitué où la Parole de vie a été perdue. Elle doit être retrouvée par la Communauté initiatique afin que le Maître soit remembré et vive. Pour cela, la Communauté initiatique effectue rituellement un voyage dans le temps sacré, de la saint Jean d’Hiver à la saint Jean d’Été et de la saint Jean d’Été à la saint Jean d’Hiver. Ainsi se reforme l’année, le Verbe circule ce qui permet sa formulation, sa mise en acte. L’Égypte ancienne l’exprimait ainsi : « Agressé par Seth, l’œil d’Horus a été décomposé en plusieurs fractions ; lorsqu’on les additionne pour le faire revivre, il manque 1/64ème qui correspond à la partie manquante du corps d’Osiris, son sexe, et à la parole perdue que doit rechercher le Maître maçon qui participerait de ce mythe... Le travail premier des initiés, chercheurs de l’œil, consiste à rebâtir l’œil complet, ce qui signifie que cet œil est considéré comme un monument... Le Temple est donc lui-même l’œil d’Horus... Ainsi, ce que la Loge formule aujourd’hui est-il porteur de ce qui a été formulé hier et nourrit-il les formulations de demain. En tournant son regard vers la lumière, la Loge reçoit pour transmettre.» Il s’agit de rassembler ce qui est épars.

          La Parole n’est pas perdue pour tout le monde car le Tableau de Loge l’a recueillie, même si les hommes l’oublient. Il suffit d’être dans le Temple et de la faire revivre par le rituel qui inclut le banquet où nous sommes confrontés à la Règle du Verbe créateur. A la table du banquet, le rituel précise : « Les Maîtres savent que celui qui parle au sein de la Loge doit lui donner l’énergie de la Connaissance. L’usage du Verbe est plus difficile que tout autre travail ; qu’ils ne confondent pas une chose avec une autre » et « Que les Maîtres transmettent la nourriture telle qu’elle a été prononcée.» La voix rituelle émet une vibration capable de façonner la matière et donc une œuvre concrète. La Parole devient de création analogue au Verbe. Dans une tenue, la Parole circule car le Verbe est présent et l’on peut communier avec lui. Il y a résonance avec l’Unité, avec l’énergie universelle. Chaque Frère crée des notes qui s’harmonisent avec la pensée originelle. Il se crée des mélodies de connaissance qui sonnent juste, en accord avec le Verbe. Les mots, les sons et les intentions vibrent comme la voix d’une chorale. Il est facile de constater que des voix imparfaites peuvent donner un chœur juste. Cette magie fait que le langage de l’Harmonie remonte nos consciences vers la conscience universelle.

 

         La Parole initiatique est bien le seul moyen pour remonter au Verbe. Cela se fait par les grades à la condition de ne pas s’égarer dans les tendances humaines et de renouveler régulièrement nos serments.

          La remontée passe par les grades, caractérisés par des nombres connus et l’évolution qu’ils proposent par des niveaux de conscience progressifs. Le vécu est essentiel qui développe l’intelligence du cœur, qui fait voir au-delà des apparences et permet de s’ouvrir aux mystères. Percevoir, c’est percer pour voir, percer ce qui est matériel pour trouver le divin. Le cœur-conscience est le siège de l’intuition car il nous relie en conscience avec notre esprit, notre part d’incréé, sacrée et éternelle. Il y a transcendance des mots, ce qui peut mener au Verbe qui, lui, est informulable. Nous devons toujours guetter l’au-delà des mots, comme dans la langue des oiseaux. Cela ne peut suffire ; il faut écouter le Feu, tout particulièrement à la Saint Jean d’Hiver ; il nous parle et nous donne la possibilité d’entrer en lui par la conscience pour inspirer nos paroles ; la Parole est semblable au Feu.

          L’Apprenti entre dans le silence et apprend à écouter lunivers. Il découvre par l’Astrologie sacrée les douze énergies de l’univers, les douze aspects du Verbe dans la manifestation. Il s’initie au langage initiatique mais il ne peut qu’épeler. L’épreuve de l’Air lui a fait découvrir la voie de la juste Parole au cœur du silence. D’ailleurs, en hébreu, « midbar » signifie désert et l’action de parler. Mais cela concerne tous les frères qui ne peuvent parler qu’après avoir fait silence en eux pour éliminer les envies, dogmes, opinions, passions, réactions...

         Le Compagnon reçoit le don de la Parole mais il doit l’affûter et s’y exercer pour qu’elle puisse s’adresser à l’âme. Il apprend à s’exprimer par la géométrie sacrée et le tracé en se connectant à la pensée abstraite. Il formule des tracés par l’Art du Trait et celui de l’Orient. Il voyage dans la Pierre Cubique, autre expression de la Règle, qui lui fait découvrir l’étendue de l’expression du Verbe dans la manifestation. Dans le rituel de table, le Premier Surveillant demande : « Vénérable Maître, apprends d’abord aux compagnons l’usage de la Parole qui modèle la matière.» Ils doivent donc apprendre à transformer la matière pour lui donner une forme capable de montrer l’origine de la Lumière, vers le Feu secret qui fait naître celle-ci. A eux de devenir des artisans du langage en maîtrisant les arts libéraux. En égyptien, « hemouou », l’artisan, est celui qui façonne tout matériau pour lui donner une forme qui doit être une enveloppe potentielle de vie. La Parole est une matière façonnable qu’il faut modeler pour lui donner un pouvoir de création vitale. La magie donne cette puissance de réalisation par le juste maniement des mots qui peut alors porter la Lumière, ou détruire. La magie est basée sur la connaissance des noms et des nombres ; c’est la capacité de nommer et donc de créer, de faire venir à l’existence, de faire apparaître des portes qui conduisent au Verbe. La baguette magique est la canne du Maître des Démarches ; « medou », en égyptien, est le bâton, l’appui, l’aide, la parole ; c’est la canne qui permet de calculer toute proportion. Cependant, l’effet de la magie n’est transmis par la Parole que si celle-ci est bien prononcée, au bon moment et de belle manière. C’est dans l’articulation des syllabes que réside le secret de ce qui est évoqué ; c’est ce que nous devons pratiquer par nos travaux dans le temple.

         Avec ces deux grades, nous sommes dans les Petits Mystères où la Parole est en création mais permet déjà de ritualiser les pensées, les paroles et les actes.

         Dans les Grands Mystères de la Maîtrise, il y a accès à une Parole de vie, de création qui peut transmettre l’Esprit si elle s’appuie sur un rite adapté. Il ne s’agit plus de s’exprimer individuellement mais en tant que Chambre du Milieu. En effet, la Parole peut déclencher une énergie créatrice et la mettre en forme, faire naître ce qui est et ce qui n’est pas encore, faire naître une œuvre en guidant les gestes, les actes justes au moment juste dans le milieu juste. Elle peut recréer le monde à l’image du Verbe qui crée en permanence ; c’est rééditer l’acte initial du Grand Architecte. Et pour cela, il faut passer par la mort.

         La Parole que nous évoquons ici est bien différente de celle que les hommes utilisent au quotidien. Le seul danger est qu’elle se perde dans les méandres des individualités, de lhumain et donc qu’elle devienne bavarde. Dans ce cas, lentropie réalise son œuvre, l’expression se dénature pour devenir verbiage. « Il faut accorder à la parole une attention d’autant plus grande et une vigilance d’autant plus attentive que la mort et la vie sont au pouvoir de la langue » (Prov. 18,21). « Veillons sur nos paroles pour éviter le risque d’offenser Dieu en elles ou de nuire au prochain » (saint Bernard).

         Apulée, dans « L’âne d’or » (roman initiatique du IIème siècle), évoque son héros transformé en âne qui retrouve magiquement sa forme humaine en mangeant des roses ; en latin la rosée (ros) est proche de rose (rosa), et dans les livres sacrés de l’Inde, la rosée est le symbole de la divine parole ; Apulée fait dire à son héros : « Quel mot entre tous prononcer le premier, où prendre les paroles qui inaugureraient ma voix retrouvée, quel propos pourrait être d’un heureux présage pour la seconde naissance de ma langue.» Tout homme, naturellement, est un peu un âne et l’initiation lui donne sa vraie forme d’homme qui possède une Parole de création. Le Prologue de Jean est à même de nous inspirer, de nous nourrir spirituellement pour remonter de notre existence terrestre et humaine vers une conscience universelle. « A tous ceux qui l’ont reçu (le Verbe), il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu.» L’Initiation est bien une démarche tournée vers la quête du Verbe, de l’Orient, et pour cela, au sein du Temple, nous formulons. Nous pouvons prendre conscience de notre position dans l’univers et nous rapprocher de ce qui nous unit tous, l’Esprit divin dont nous avons tous une parcelle, notre père, et être ainsi, en conscience, des enfants de la Veuve. Les anciens égyptiens appelaient cette parcelle le Djet, « le Verbe divin inné, emprisonné au plus profond du corps mortel, puis réveillé, libéré » (Isha Schwaller de Lubicz. Her-Bak disciple), en liaison avec Djed (le pilier de la stabilité qui signifie aussi parler). C’est sur ce Verbe-inné que la démarche initiatique travaille pour qu’il s’exprime et s’inscrive en chacune des œuvres communautaires afin qu’elles soient de nature divine, porteuses de vie et de lumière.

          Tout s’appuie sur le serment qui est une Parole donnée et qui ne peut se reprendre, qui fait que le Frère ne s’appartient plus. Il sert celui à qui il donné sa Parole, quels qu’en soient les risques, sans restriction mentale, sans l’arrière-pensée de suivre son propre chemin. C’est pour cela que nous renouvelons chaque année, à la Saint Jean d’Hiver, notre serment de fidélité à la Règle et d’œuvrer en permanence. Cela nous place en permanence à l’écoute de la Parole qui mène au Verbe.

 

         La Magie ainsi perçue peut déclencher une voie de transcendance, capable d’enrichir la conscience universelle.

Olivier Doignon- La Lumière- MDV


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