L’Apprenti, selon le viatique, répond ainsi à la demande du mot sacré : « Je ne sais ni lire ni écrire, je ne puis qu’épeler. Dites-moi la première lettre, je vous dirai la suivante ». Faisant preuve de maturité, il détourne la question directe et personnelle par une affirmation d’humilité et une invite à une formulation communautaire. Ici, il reconnaît qu’il doit apprendre les lettres de l’alphabet sacré que sont les symboles fondamentaux. D’ailleurs, tout le viatique est conçu, non pour donner des réponses toutes prêtes mais des ouvertures.
Il y a vingt-deux lettres fondamentales ou lettres mères :
- Trois sont triples : Les grandes lumières (règle, compas, équerre), le delta, les trois fenêtres sur le tableau de loge.
- Sept sont doubles : Les luminaires, ciseau et maillet, pavé mosaïque, colonnes, porte (on entre et on sort par elle), pierres brute et cubique, planche à tracer.
- Douze sont simples : Niveau, perpendiculaire, corde à nœuds, marches, étoile flamboyante, pierre cubique à pointe, sarcophage, branche d’acacia, grenades/vases, équerre, compas, règle.
L’Apprenti les interroge pour alimenter la méditation de sa conscience. Si son approche est juste, il reçoit comme par un jeu de miroir une réponse, qui en fait est déjà incluse dans la question correctement formulée. D’ailleurs épeler vient du francique « spellon », expliquer, raconter. Manier ces lettres divines ouvre les sens et déclenche des perceptions. Selon le Sepher Yetzirah, Dieu créa par 22 lettres (mais ce ne sont pas les mêmes) tout ce qui fut et sera. Ce Nombre contient la notion de la totalité des forces créatrices dans leur plein épanouissement.
Pour comprendre un écrit, il faut d’abord passer par les lettres. Aucune n’est une convention ou un tracé choisi au hasard. Il faut donc les étudier une par une en les aimant. Elles ont un corps, leur tracé, mais aussi une âme et un esprit.
On peut alors les épeler. Mais cela ne se fait pas seul puisqu’il s’agit de symboles. Vouloir le faire seul serait trahir la voie initiatique, alors qu’avec un frère c’est vivre en communion une langue sacrée. Nous avons ici un des garde-fous principaux de la méthode initiatique, un vrai mode de vie qui préserve des vérités définitives en incitant à être toujours à l’écoute de nos frères. En effet, chacun peut exprimer une partie seulement de la réalité cosmique. C’est encore plus vrai pour l’Apprenti qui ne sait pas encore lire la Loi d’Harmonie, et encore moins la décrire. Il lui faut d’abord s’intégrer dans la communauté pour, ensuite, comprendre la communauté universelle dont la création fait partie.
Tout cela est conforme au mythe de création. Le fait d’épeler est appel vers l’autre avec un désir de partage qui met en mouvement l’être. C’est une transmission, notamment quand deux frères reconstituent ensemble le mot sacré, la quintessence du grade, qui est alors transmis dans son intégralité. La construction lettre par lettre est indispensable pour accomplir, après l’épreuve du silence, le devoir de transmission sans risque de faute grammaticale.
D’une manière plus large, la méthode fondamentale de travail où chaque frère apporte une contribution à un thème commun avec un rapporteur unique, est une autre manière d’épeler, ce que ne peut être une planche magistrale. La synthèse produite est sacrée, comme le mot, car elle est animée de l’esprit de tous les frères et qu’elle fait ainsi passer de la parole au Verbe.
Quand l’Apprenti connaît ces lettres, il devient Compagnon et apprend à les assembler pour faire des mots puis des phrases à l’aide de la grammaire sacrée. Il maîtrise alors le langage initiatique, il sait faire parler la pierre, comme dans les chapiteaux des églises du moyen âge par exemple. Cette grammaire est la science du Verbe la plus élevée, très proche de la Sagesse. Avec elle, on peut formuler l’informulable, car elle exprime le jeu des puissances causales entre elles.
L’enseignement initiatique repose sur cette démarche qui permet d’aborder tous les Nombres dont est issue la création. Cet échange permanent est symbole du mouvement qui anime le monde, et de l’Amour communautaire qui le sous-tend.