Ce sens permet l’orientation, la perception spatiale, grâce aux deux oreilles. Les canaux internes de cet organe permettent de se situer et d’avoir le sens de l’équilibre. Nous sommes ainsi liés à notre environnement et nous pouvons le percevoir. C’est tout aussi vrai sur le plan immatériel, ésotérique et conceptuel. L’ouïe permet de s’orienter dans tous les orients, de concevoir une vie en création et d’avoir la conscience des voix intérieures. Elle distingue l’harmonie dans la cacophonie et transmet la pensée.
Cependant, l’ouïe peut être l’objet d’illusions trompeuses et demande donc à être exercée pour distinguer la réalité.
Ce sens relie au Verbe. Le son qu’il capte est une vibration, dans le monde apparent comme dans le monde invisible. Ainsi peut-on relier ces deux mondes. Le rituel est rythmé par différents sons qui lui donnent une harmonie, comme la cadence de la canne du Maître des Démarches ou les coups de maillet. Dans l’épreuve de l’Air, le néophyte, les yeux bandés pour mieux écouter, n’entend pas un tumulte inepte mais la musique des sphères. De même, l’acclamation écossaise est un rappel du son primordial né du silence ; elle nous fait revivre la genèse du monde. Ce son est de l’amour corporifié, le Verbe qui se fait chair et devient physiquement sensible.
Le Verbe est la source de toute vie. Ainsi l’ouïe fait naître à la vraie vie. Le nom égyptien des oreilles signifie « les vivantes ». La vie pénètre en l’homme par l’oreille. Le Verbe féconde l’être par elle, d’où le symbolisme fréquent dans la statuaire d’êtres équipés d’appareils auditifs plus grands que nature. Rappelons-nous que Gargantua est né par l’oreille de sa mère. Minerve naquit ainsi de Jupiter. Cet organe symbolise donc l’obéissance au Verbe, l’acceptation de l’enseignement du Temple, pour développer la capacité d’amour.
De fait, le Second Surveillant, l’Eveilleur, le guide vers la Connaissance, est celui qui présente au Compagnon ce sens. La Connaissance est d’abord une perception auditive, celle du son primordial. L’importance des mantras en Inde découle de cette constatation. La vision viendra bien plus tard. En effet, le nouveau-né perçoit les sons avant même la naissance, mais n’acquiert que progressivement le sens de la vue. Ce Surveillant demande aux frères d’entendre ce que proclame le Devoir, et il rappelle sans cesse que la seule obéissance créatrice naît de la Connaissance. L’obéissance volontaire permet d’entendre tout appel pour y répondre.
L’instruction commence donc par l’ouïe. La tradition occidentale est d’abord orale, par la parole des frères. Celle-ci formule le Verbe et parvient au cœur pour faire « entendre raison ». Les secrets se communiquent à l’oreille, ce milieu procréateur, où l’on fait croître la tradition reçue. L’enfantement se fait plus tard (les neuf mois de la grossesse ; le Maître a Neuf ans et plus), après maturation, quand, devenu Maître, l’être transmet à son tour par la bouche la parole reçue. Voilà le sens du symbole de la belette qui, dit-on, conçoit par l’oreille et enfante par la bouche.
L’écoute est fondamentale. Ecouter ses frères permet de ne plus s’écouter soi-même. Telle est la clef de l’intelligence vraie, le principe spirituel de base, d’où le silence des Apprentis. En effet, contrairement aux autres sens, l’ouïe est directe. Elle ne passe pas par le cerveau. Elle ne subit pas l’analyse mentale. Les sons ne sont pas traités par le cerveau avant d’être utilisés par lui. Ils peuvent aller directement au cœur d’où le ravissement irraisonné que l’on peut ressentir à certaines musiques. On peut soigner ou détruire par les sons.
L’Apprenti, par le silence, se laisse pénétrer par la langue sacrée des symboles. Le Compagnon entend le son des pierres pour mieux les faire parler. Le Maître, ayant fait taire son moi, entend la voix du Soi et parvient à l’Amour par une voie brève et directe.