Ce mot signifie indivisible. Il correspond en effet à la plus petite division possible de l’univers créé au niveau de chaque règne, animal, végétal ou minéral. Une décomposition plus poussée détruirait ses caractéristiques. Par exemple dans l’espèce humaine, on peut distinguer selon la couleur de la peau, selon des régions géographiques d’habitation… jusqu’à monsieur untel. L’individu est donc ce qu’il y a de plus éclaté dans la création, de plus éloigné de l’unité d’origine.
Chacun croit se connaître, mais l’essence n’est pas dans le moi qui est très volatil. Nous sommes incarnés et il faut l’assumer. Cependant notre trajectoire personnelle est une limitation par rapport à l’océan des origines d’où nous venons. En naissant, nous sommes morts à l’universel. Nous vivons dans un cadre restreint par nos sens et notre mental. L’ego, qui est le maître de l’individu, se croit le centre du monde et ramène l’univers à lui. Il veut s’approprier ce qui l’entoure ou, du moins, le dominer. Toute voie d’amélioration individuelle fait recueillir des bénéfices, des pouvoirs. Mais l’individu ainsi considéré n’est pas initiable, quels que soient ses efforts, car ce n’est pas dans sa nature. Celle-ci est multiple, éclatée.
Ce point de vue se retrouve dans toutes les traditions, y compris bouddhique. On se contentera ici de citer Maître Eckhart, un des grands initiés passés à l’Orient Eternel (sermon 10) : « Personne ne peut entendre la parole ni l’enseignement de notre Seigneur, à moins de s’être renoncé lui-même. Toutes les créatures ne sont rien en soi ».
Le monde profane, surtout à notre époque, est fondé sur l’individu et sa survalorisation. Dans le meilleur des cas, rationalisme et individualisme sont solidaires et mènent à l’humanisme, c’est à dire à la réduction de chaque chose à un point de vue exclusivement humain.
La difficulté vient de la confusion entre individualité et personnalité et cela peut mener à une impasse spirituelle. L’individualité, c’est l’ego, alors que la personnalité représente l’ensemble des potentialités que nous avons le devoir d’exploiter pour la plus grande gloire du Grand Architecte de l’Univers, et non pour nous. La nuance est de taille. Nul ne peut emboîter le pas d’un autre. Chacun est un moment particulier de la conscience universelle, irremplaçable mais pas indispensable. Cette réalisation de chacun passe par l’universalisation qui est intégration dans les deux autres niveaux que sont l’homme communautaire (la loge) et l’Homme Universel, et donc transcendance. Un initié n’est plus un individu mais un frère, un élément d’une confrérie, qui cherche la vérité et voyage dans l’invisible pour la poursuivre de ses assiduités. Il n’est plus chez lui sur terre. Il est dans ce monde sans être de ce monde, à la fois terrestre et céleste. Il a soumis le facteur d’individuation qui le conduisait à la mort pour que le divin s’éveille en lui. Cela emporte tout l’être dans une vision unitive.
Il cherche à changer de nature. Il a fallu un désir pour trouver le chemin du temple, se demander ce qui est essentiel, comment on peut vivre autrement. Cela déclenche des forces, donc un mouvement. C’est d’ailleurs ce qui permet la marche dans le temple, un élan vers l’Orient.
L’homme individu est donc matériel, corporel et partant, strictement lié au temps. C’est l’homme temporel. Mais il n’est pas une illusion. Mettre la main dans le feu, cela fait mal, réellement et laisse des traces. Avoir faim annihile les capacités, notamment spirituelles. Il s’agit de s’insérer dans ce monde, d’y agir puisque nous sommes des bâtisseurs, pour connaître l’au-delà des apparences et en témoigner ici-bas. La solution inventée par l’occident depuis l’Egypte ancienne est de mettre en place l’homme communautaire.