C’est le manquement à un engagement, cesser d’être fidèle à un serment, et aussi révéler ce qui devrait rester caché. L’étymologie est la même que tradition, à partir du latin « tradere », livrer, transmettre, remettre, confier, enseigner. Par conséquent, par définition, on ne peut transmettre sans trahir.
Ceci étant, il faut néanmoins savoir à quel niveau se situer. Sur le plan individuel, au niveau même de l’existence et de la présence de l’homme dans la création, chacun devrait se demander : Quel est l’engagement fondamental et quelle est la nature de la trahison de cet engagement ?
Le fondement de toute naissance est de perpétuer la vie dans tous ses aspects, et cette perpétuation ne peut se réaliser que par une soumission totale et rigoureuse aux lois causales et aux fonctions créatrices, autrement dit à la Règle émanée du Grand Architecte. A la naissance, tout être n’a qu’un devoir : subordonner corps, âme et esprit à cette loi impérieuse. Les animaux lui obéissent naturellement car ils n’ont aucune liberté de choisir leur existence. Ils sont soumis au déterminisme du vivant.
A l’inverse, l’homme, qui détient une partie de la Conscience universelle grâce à son esprit, a la possibilité d’enfreindre tout ou partie de cette loi et de vivre en dysharmonie. C’est pourquoi, pour aborder le chemin initiatique, on lui demande un serment. Si on le trahit volontairement, on est une personne méprisable. Celui qui est lâche devant ses devoirs, quel que soit le sacrifice exigé par la Règle, qui renonce aux principes de la vie spirituelle pour le profit de ses intérêts matériels, est le pire des traîtres et il se suicide spirituellement. De plus, le serment, bien souvent, demande de ne pas révéler ce qui doit rester caché. Il est vrai que rien ne doit rester totalement secret, car toute l’œuvre divine doit être exposée à tous selon leurs moyens ; mais cette exposition ne peut être faite de façon anarchique et insensée. Il y a trahison lorsqu’un secret est révélé à celui qui n’en est pas digne car il ne pourra qu’en faire un mauvais usage ou que cela arrive trop tôt.
Toujours sur le plan individuel, se reconnaître soi-même, renoncer au regard de ses frères, est une trahison pour laquelle l’homme est très doué par nature. Le principe communautaire est donc indiqué clairement dès le viatique d’Apprenti où il est dit : « Epeler seul, c’est trahir ; épeler ensemble c’est vivre en communion une langue sacrée ». Tout cela vient d’une soumission à l’ego qui tient à oublier les devoirs. Par paresse, vanité ou ignorance volontaire, il s’interdit de se situer à une juste place au sein de la création et il enferme l’être progressivement dans une prison étanche à la lumière. Celui-ci ne peut plus que manquer à la promesse que la naissance impliquait vis à vis de la création. Refusant de reconnaître la partie divine qui est en lui, il trahit son devoir d’être vivant. L’innocence n’existe pas, même au niveau des adolescents ou des enfants. Le rejet de la lumière revient à ne pas admettre que la vie est une expression de la Conscience universelle et que tout homme, dépositaire d’une parcelle de cette conscience, se doit de tout faire pour que cette conscience personnelle rejoigne son origine.
Sur le plan conceptuel, la trahison est autre. L’essence du Principe descend dans la substance. Ce passage de l’Idée à la forme est, en quelque sorte, une altération, car la matière, bien que recelant le divin, ne peut en réaliser tous les aspects. La Règle fait obligation aux Maîtres de témoigner et de transmettre, et c’est inévitablement une trahison car la formulation est toujours plus ou moins éloignée de la vérité qui ne règne que dans l’incréé. On ne peut que l’approcher d’où la nécessité d’une formulation permanente. Ce qui est définitif est faux, même s’il s'agit d’un livre sacré. Le Maître qui s’exprime avec une intention juste fait un don et ne peut trahir réellement. Il peut certes se tromper, faire des erreurs, mais, au contraire, il trahirait s’il venait à penser qu’il aurait pu dire quelque chose et ne l’a pas fait par crainte du jugement des autres. C’est ainsi que se loupe l’éveil d’un autre Frère, car nul ne sait d’où vient la parole qui éveille. Chaque occasion manquée est perdue.
C’est pourquoi le Compagnon apprend à échapper aux déformations humaines par la Géométrie sacrée. Il a le don de la parole mais pas celui du Verbe. Il passe donc par la connaissance des formes intangibles, essentiellement la Pierre Cubique et les polyèdres, formes formatives, expressions pures de l’Esprit, sans trahison possible bien que manifestées. Ce n’est qu’ainsi qu’il échappe aux déformations que l’homme donne à toute forme qu’il crée. Il peut alors devenir celui qui participe à la création de la forme sans trahir l’Esprit.
Le troisième plan est celui de la vraie nature de la trahison, le plan rituel, au cœur du mythe avec le Maître assassiné qui a la nécessité vitale de mourir. Cela rejoint la phrase : « Si tu rencontres Bouddha, tue-le », et le Christ mis à mort qui n’aurait pu remplir son rôle de sauveur s’il n’avait pu faire le don de soi. Hiram a besoin de disparaître à nos yeux pour que vive la vie.
Dans le rituel d’élévation au sublime grade de Maître du R.I.T.E., il est demandé par le Vénérable Maître, après le meurtre d’Hiram : « Les trois Compagnons criminels appartenaient-ils à la communauté des frères travaillant à la construction du temple ? » et le Second Surveillant répond : « Le métier n’a pas trahi ». Les Compagnons n’ont rituellement pas le choix. La communauté n’a pas dévié dans le respect de la Règle, les fonctions sont assumées, y compris pour les Compagnons.
Plus largement, toute tenue est une forme d’assassinat de l’Initiation car nous sommes des hommes et les rituels sont formulés par des hommes, donc loin de la pensée du Principe. Mais cela s’accomplit en conscience ce qui met en contact avec l’Invisible avec d’autant plus de force que le mythe est solide, que les rituels sont formulés en connaissance et que le plan du Maître d’œuvre est fondé sur les lois causales et les fonctions créatrices, au-delà de la compréhension humaine et de toute trace d’humanisme. Quand des frères formulent dans le temple selon la Règle, rien n’est souillé ni trahi.