Etymologiquement, c’est un exercice, plus spécifiquement de piété. Il n’y a pas d’initiation ni même de démarche spirituelle sans elle, mais il faut bien s’entendre sur ce mot. Pratiquer une ascèse revient à percevoir, vivre et respecter la Règle, dans son concept, comme dans son application. Elle doit être considérée comme une discipline de vie en vue d’un perfectionnement spirituel.
Il ne s’agit donc pas de mortification, de cilices, de jeûnes, de privations, de punition ou même de renoncement au corps, toutes choses proches du masochisme. Tout cela coupe du divin en se centrant sur des pratiques douloureuses et stériles. Saint Bernard disait que la lettre tue si on y goûte sans l’assaisonnement de l’Esprit. La mortification revient à préférer des contraintes particulières à la Règle ; c’est plus facile mais désorganise la sensibilité et éloigne de la voie.
L’homme est composé de corps, d’âme et d’esprit. Les trois interagissent. En négliger un aspect conduit à négliger les autres. Les besoins du corps ne sont pas à mépriser. Simplement ils ne doivent pas s’imposer à l’être. Il y a danger à les brimer car ils rejaillissent avec d’autant plus de force pouvant conduire à des perversions. Ce qui est excessif est toujours dangereux, dans toutes les dimensions. Le corps n’a jamais été la prison ni l’ennemi de l’âme comme de l’esprit. Il a quelque chose de divin, comme tout ce qui existe.
La voie initiatique est une voie de construction de l’être. Pour cela, elle exige des moyens positifs et non destructeurs. Il n’y a ni pénitence ni humiliation à utiliser, mais simplement un effort de rectification librement consenti, ce qu’est l’ascèse. Voilà une attitude qui correspond parfaitement à tout initié qui veut suivre réellement la Voie.
Cette dernière ne peut pas se parcourir si l’individu ne fait aucun effort pour prendre conscience de son déterminisme natal afin d’en affaiblir les parts d’ombre et révéler les parts de lumière. Elle exige de mourir en permanence au vieil homme, ce qui ne se fait pas tout seul. Il faut d’abord un désir d’évolution, d’élévation, de retour au sacré, tout cela avec le concours d’une volonté permanente et résolue. Celle-ci doit survivre aux chutes et rechutes inévitables pour mener l’être jusqu’au Centre de toute chose. Pour arriver à ses fins, cette volonté s’exerce au travers d’une ascèse dont le premier objectif est de réveiller la conscience de la réalité, celle qui englobe la totalité de la manifestation, visible et invisible.
Dans un certain sens, on peut dire que l’appliquer régulièrement sur tous les plans de l’être (affectif, physique, mental et spirituel) c’est vivre selon la voie longue et humide, ce qui permet d’avoir des éclairs de perception connaissante qui constituent la voie brève ou sèche.
L’initié, en effet, tente de vivre en totale conscience de ses actes et pensées et ne se laisse plus flotter au gré des vents soufflés par l’ego. Ceci correspond à la conduite du feu de l’athanor qui doit être en phase permanente avec la transformation progressive de la minière. Une ascèse trop brutale et mal comprise conduit à la mortification qui est de nature contre-initiatique et constitue un réel obstacle.
Cependant, exercée avec tiédeur, elle s’apparente à la mollesse et n’a aucun effet positif. L’être est donc en permanence sur le fil du rasoir qui sépare l’immobilisme de l’excès. Il y a bien nécessité d’un éveil permanent de la conscience pour juger de la conformité du comportement avec la Règle. Celle-ci s’exprime à travers symboles et rituels. Comprendre les premiers s’obtient par une maîtrise de la pensée qui doit se défaire des schémas binaires, et vivre les autres, c’est s’imprégner de leur magie qui aide l’initié dans une nouvelle construction de lui-même.
L’ascèse alors devient source de joie et une dynamique en ressort. La vie en harmonie est à ce prix.