Cette fonction dérive naturellement de la dualité créatrice. Elle est universelle, clef vitale de tout ce qui est créé. Elle est analogue à la neutralisation d’un acide par une base pour donner un sel. Toute la dynamique de la nature en provient car elle correspond à l’accouplement qui mélange les gènes et améliore donc les espèces. Son étymologie vient de la croix qui en est par conséquent le symbole que l’on retrouve dans la plupart des spiritualités et bien avant le christianisme.
Contrairement au principe d’inversion capable d’introduire une nature dans une autre nature, le croisement ne change pas la nature des choses ; il la dynamise. C’est ce que l’on rencontre par exemple avec le miroir qui croise droite et gauche, haut et bas.
Ce mot signifie assemblage, union, conciliation.
En effet croiser deux notions revient à les assembler. Le meilleur exemple est donné par le ciseau et le maillet croisés sur le tableau de loge. Ils sont indissociables ; l’Apprenti ou le Compagnon ne peut utiliser l’un sans l’autre. Cette forme de la dualité est différente de celle, par exemple, de la Pierre Brute et de la Pierre Cubique, issues toutes deux de la Pierre Fondamentale qu’est l’autel, mais que l’on peut percevoir séparément. De même se croisent l’Equerre et le Compas, ou la parole en loge.
Le croisement assemble donc mais dans le sens de conciliation de choses apparemment opposées, voire contraires (la parole de deux frères en loge pourrait donner lieu à des affrontements d’opinion dans le monde profane, alors qu’en loge, par le croisement maîtrisé par le Vénérable Maître, il y a association et enrichissement). Ce qui est opposé ici-bas est concilié dans l’au-delà. Tel est bien le symbole de la croix.
Sa forme géométrique est la pierre cubique à pointe déployée, ou le tau surmonté de la rose. Le sommet de l’étoile est au croisement des diagonales externes du tau ; quant aux diagonales internes, elles se croisent au centre du carré de base et génèrent deux des côtés du pentagone de la rose. L’étoile naît du tau par le croisement (NB : pas dans la rigueur mathématique mais dans la justesse du tracé).
D’une manière générale, le croisement de deux lignes détermine deux chemins dont la clef est le point de rencontre qui est déterminé et neutre (cf. le gamma au centre de l’Etoile Flamboyante) ; il fait apparaître le centre, le lieu de vie où l’homme peut se réaliser sans dispersion. La croix dans un cercle évoque l’organisation de l’univers selon ses quatre orients ; c’était donc le symbole de la ville dans l’Egypte ancienne. C’est le creuset où l’homme s’établit, où la matière première se purifie et se spiritualise, où s’obtient la pierre angulaire du grand Œuvre.
L’autre symbole géométrique du croisement, complémentaire de la croix, est la diagonale qui concilie les contraires. Diagonale signifie union. Ce n’est pas un compromis sans intérêt mais un assemblage solide et durable de deux notions. Elle est l’esprit de la forme. La diagonale d’un carré long est l’hypoténuse d’un triangle rectangle, synthèse des deux côtés. Dans le carré long argenté, quand le créateur (1) exerce sa volonté de manifestation (2, la dualité créatrice), son esprit s’incarne (racine de 5) dans l’univers entier (le carré de la genèse).
Tout cela a ses correspondances symboliques :
- C’est par exemple le phénomène de l’action/réaction, c’est à dire une cause qui rencontre une résistance ce qui provoque un phénomène. Le phénomène est donc purement réactif. Tout être qui vit un phénomène n’est pas dans l’action mais dans la réaction ; il n’est pas lui-même et reste manipulable. C’est pourquoi le Compagnon doit apprendre à ne pas réagir pour entrer vraiment dans l’action. Mais sur le même principe, ce que nous faisons nous fait ; nos actes ne doivent donc jamais être indifférents ; ils ont des conséquences sur nous.
Prenons un exemple. L’Hospitalier n’est pas celui qui va au secours des frères. Il en serait d’ailleurs bien incapable le plus souvent. Cet aspect est purement exotérique. Il est celui qui fait vivre dans le cœur des frères la pratique de l’offrande, fonction de création essentielle. Celui qui fait une offrande produit, par réaction, un effet en lui-même, notamment en tuant l’instinct de possession mais surtout en décuplant la puissance réalisatrice de celui qui accomplit un sacrifice volontaire et conscient. Offrir quelque chose c’est être soi-même cette chose. L’offrande aux dieux a toujours eu ce sens et cet effet, même si nous l’avons aujourd’hui quelque peu oublié.
- Le croisement se traduit souvent par une alternance et donc par des cycles, et ainsi une mise en mouvement. Cela met en évidence tout particulièrement l’alternance du visible et de l’invisible, de l’abstrait et du concret, de l’opératif et du spéculatif, toutes choses en fait indissociables. Le jeu des fonctions de création pendant les rituels consistent bien souvent en des croisements, seule possibilité de voyager dans l’invisible sans se perdre.
- Le phénomène de la croissance, et donc de la vie, se base sur le croisement. On peut voir la création comme un tissu vivant où tout s’entrecroise, où se piège la lumière dans une forme. Tisser a la même signification anagogique que créer. Tisser c’est donner forme, donner la substance et le mouvement. Tisser, c’est entrecroiser du mobile (la navette qui entraîne le fil de trame) à travers le fixe (la chaîne). Pour ceux qui savent voir les évènements avec du recul, le devenir s’assemble comme un tissage. Le futur se tisse ; il se forme peu à peu des évènements qui deviennent de moins en moins modifiables plus l’on s’approche de leur déclenchement ; quand le futur est tissé, il est irrévocable.