Aucune spiritualité authentique ne peut être atteinte sans enseignement.
Il est impossible d’apprendre seul, même par des écrits. Une bougie s’allume par la flamme d’une autre ; isolée, elle reste éteinte. Mais on ne peut avoir plusieurs Maîtres, comme on ne peut prendre deux repas en même temps ; il faut choisir et s’y tenir, comme le Maître ne peut accepter un disciple qui suit une autre voie.
L’enseignant doit avoir les aptitudes nécessaires et non le désir de transmettre ; c’est un devoir, une responsabilité et non un plaisir que l’on s’accorde. Il ne doit pas y avoir de différence entre ce qui est appris et ce qu’est le Maître. Il ne montre pas ce que le disciple veut savoir mais ce qu’il a besoin de savoir d’où une prudence sur ce qui est proposé. Ce n’est pas l’enseignant qui importe mais l’enseignement. Il ne saurait se positionner en gourou. Cependant il ne faut pas négliger le phénomène d’attraction, d’admiration d’un être plus évolué, à condition de savoir brûler cette fixation à la fin des Petits Mystères. La place du Parrain est un peu différente car, après avoir éveillé un désir, il soutient son filleul plus qu’il n’enseigne. Le Maître est la Chambre du Milieu, assistée des Compagnons pour les Apprentis. Elle seule est apte à juger et jauger les prises de conscience.
Si le disciple n’est animé que de curiosité, d’amusement, voire de volonté de pouvoir notamment en voulant transmettre le peu qu’il a appris, s’il ne peut montrer qu’il peut aller plus loin par lui-même, le Maître doit en rester là. Le désir initiatique est primordial car il est appel vers la Connaissance. Il alimente le travail de celui qui reçoit tout dès le premier instant et a pour devoir d’assimiler les Petits Mystères. Le frère reçoit l’enseignement comme un don inestimable (et non comme une vérité), source d’évolution ; quand il le ressent comme une contrainte pénible, il doit d’abord se centrer sur cette difficulté, rester toujours actif et donner toute son attention à celui qui signale le chemin. Néanmoins il est essentiel que l’élève voie dans son Maître un être réalisé pour que l’instruction soit profitable et suivie fidèlement.
En fait, l’enseignement absolu qui pourrait donner la Sagesse n’existe pas. Le divin est en soi, ainsi que la source de sa propre réalisation ; ils ne se trouvent pas dans les choses extérieures, livres ou gourous. Il n’y a pas de doctrine, contrairement aux religions, de dogme, mais simplement des outils pour cheminer avec un certain espace de liberté. Le voyage et l’action effectués enseignent, non les mots ou les explications. Celles-ci sont toujours dangereuses car elles font appel à l’esprit rationnel et entraînent des discussions, des désaccords, et donc une transmission parcellaire, voire un rejet ; le Maître dit, laisse méditer et ne répond jamais directement aux questions. Il doit utiliser préférentiellement la mise en perplexité du mental du disciple. L’enseignement n’est ni rationnel ni composé de réponses toutes faites et définitives. Il est qualitatif, ésotérique. Les mystères ne se déclinent pas, ils se vivent.
Etymologiquement, enseigner vient du latin insignare, signaler. Le chemin est montré, mais c’est le disciple qui le parcourt, même si le Maître l’accompagne. Le frère forge sa propre pensée et fait ses expériences. Ce qui n’est pas vécu n’existe pas. Il s’éveille grâce à un être plus éveillé qui renvoie sur lui toute pensée, tout questionnement. Le viatique donne la clef : « Demandez et vous recevrez ; cherchez et vous trouverez ; frappez et l’on vous ouvrira ». On comprend ainsi que la transmission orale est incontournable.
L’enseignement n’existe réellement que dans les Petits Mystères qui donnent les bases, plus dans les Grands où il s’agit de rayonner et d’explorer. Le dévoilement progressif de l’Astrologie puis de la Magie permet de déboucher sur l’Alchimie qui est la pratique des métamorphoses, de la création. La reproduction de schémas de pensée n’y fonctionne plus. Par contre, dans les Petits Mystères, la réalisation de soi se fait par étapes, bien définies, bien structurées par souci d’efficacité. On ne peut passer à la suivante tant que la précédente n’a pas atteint son plein effet sur la conscience. C’est la voie longue qui autorise alors des moments de voie brève. Le cheminement part du Un vers le multiple, alors qu’à la Maîtrise le multiple permet de retrouver l’unité, de rassembler ce qui est épars. Cependant les Petits Mystères ne doivent jamais cesser d’être travaillés. Ainsi sont mises à disposition, de toute éternité, les voies d’accomplissement et de transmission de toutes les formes sacrées de la vie.
Les techniques qui conduisent à l’éveil sont le langage initiatique, les Nombres, les formes, tous moyens nécessaires et suffisants pour entrer en conscience dans la vie. Elles sont directement assumées par les Surveillants. Le Deuxième donne le sens de la communauté car la démarche ne peut commencer que par-là, ainsi que le sens et le langage sur lequel se base le processus initiatique. Le Premier enseigne les formes à partir de celles qui sont dans la Pierre Cubique ; il confronte les Compagnons aux polyèdres et éduque leurs sens pour éveiller l’intelligence du cœur.
L’ensemble de la voie reste sous-tendue par l’épine dorsale qu’est la Règle, expression manifestée de la Loi du Principe et par le vecteur qu’est le mythe de création. Celui-ci se déploie par le rite. La pratique permanente des rituels opère une véritable magie qui transforme les êtres et apporte la nourriture vitale pour retourner au concept pur.
Cependant la transmission est à adapter à la fois aux individus et à l’époque. Actuellement, dans notre monde troublé et très athée, l’enseignement doit être beaucoup plus dense qu’à d’autres époques bien que les êtres soient fort peu disponibles ; il n’y a pas d’autre choix qu’une formation accélérée, ce qui nécessite tout de même 8 à 10 ans pour parvenir à la Maîtrise, mais ceci est à comparer à une période plus longue autrefois pour des êtres qui y consacraient l’essentiel de leur énergie. L’augmentation de salaire ne peut que correspondre à une connaissance effective des Nombres, à une prise de conscience, source de devoir et d’amour envers les frères et la communauté dans son sens universel. Il a toujours été dangereux de « jeter des perles aux pourceaux ». La forme de l’enseignement s’adapte sans cesse, à l’image de la genèse qui est permanente, même si le fond est immuable. L’expression du mythe doit rester vivante. Les rituels ne peuvent être standards, sauf à vouloir domestiquer par uniformisation les individus. Chaque loge dispose de son propre corpus, évolutif si la Chambre du Milieu sait pleinement ce qu’est un concept, pense en ternarité, connaît la réalité cachée derrière chaque symbole ainsi que les lois causales et les fonctions créatrices qui gestent la genèse permanente.