La démarche initiatique est comme l’ascension d’une montagne. Mais le sommet ne s’atteint pas. Il se repousse au fur et à mesure qu’on avance. Seul le chemin importe, et non le but. Il permet de réaliser le cursus initiatique, depuis l’entrée dans le temple jusqu’à la vie dans les Grands Mystères où la navigation est infinie.
Il serait dangereux et dogmatique de penser qu’il n’y a qu’une voie possible. Mais il serait curieux de croire qu’il y en a une multitude. Une sculpture du cloître du Puy-en-Velay montre l’Initiateur indiquant deux chemins, apparemment opposés. Le balancement de l’un à l’autre est le meilleur moyen de nous tenir en éveil. La perception des mystères n’est jamais linéaire.
La Voie Longue, parfois appelée humide, repose sur le fait que l’homme est capable d’évoluer, grâce au rite, aux grades, au travail permanent. Il se modifie progressivement, dompte son ego en le déstabilisant, élargit son champ de conscience et peut parvenir à une réalisation. Il perçoit de plus en plus finement la réalité et la « Lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde ». Il s’imprègne progressivement du sacré, souvent d’une manière inconsciente au début de l’apprentissage. Cette voie est sûre, mesurable, balisée, bien connue, contrôlée par la communauté des Maîtres. Ceux-ci surveillent ainsi l’évolution des Apprentis et des Compagnons. Ce parcours est à suivre rigoureusement. Il demande des années d’assiduité, d’efforts continus et une succession d’œuvres à accomplir. C’est une voie d’équilibre, de recherche de la voie du milieu. Elle correspond à l’éternité des cycles et celle-ci est l’année complète rituelle. Le trajet est varié, détaillé, passionnant même, et il évite les sources périlleuses d’égarement. Il est basé sur l’expérimentation.
La Voie Brève est celle des instants de conscience et correspond à l’éternité de l’instant. Le divin rayonne partout et sans cesse. Malheureusement, l’homme se protège de ce rayonnement par l’ego. Parfois, à des moments imprévisibles, cet écran se retire et l’être est illuminé, comme en un éclair, sur un symbole, un concept, une partie de la réalité. L’intuition est libérée. Le saut de conscience accompli imprègne l’être d’une façon irréversible. Cette voie est intransmissible; elle ne s’enseigne pas. On ne peut que la préparer par la Voie Longue. Très directe, elle est dangereuse, surtout s’il n’y a pas le garde-fou de l’autre voie.
Quelques exemples pour illustrer cette voie parfois nommée sèche.
Tout symbole est une voie vers le Un, mais ultra brève et périlleuse. Il est souvent plus prudent d’utiliser la voie longue en se préoccupant surtout de relier entre eux des symboles.
Le néophyte, plongé dans la crypte, avant son initiation, est confronté à un moment de voie brève. Tout est inscrit devant lui. Il est au cœur des mystères. S’il pouvait en être conscient, il accéderait de suite à la Maîtrise. Tout son parcours existentiel ultérieur consistera à retrouver ce moment intense.
Dans le rituel d’initiation, le saut dans le vide de la planche à bascule est une aspiration brutale vers le haut dès lors que l’être lâche ses références du passé.
L’épreuve du Feu est une confrontation impossible avec la fraternité du Feu. Le néophyte a expérimenté la fraternité avec les trois autres éléments. Le contact avec le Vénérable Maître, ou Maître réalisé, va résoudre cette impossibilité, et le serment qui suit également ; la seule conscience, pleine et entière de ce serment, peut donner accès à la Maîtrise.
La chaîne d’union est un moment dense où l’intégralité des mystères est offerte aux frères.
Les deux voies ne sont ni dissociables, ni successives. Elles sont complémentaires et s’enchevêtrent d’une manière imprévisible. Se parcourant simultanément, elles éclairent la démarche initiatique. Elles permettent d’aller à l’essentiel, sans perdre le cap, tout en ne négligeant aucun aspect de la vie.
Elles sont opératives. Elles impliquent l’accomplissement du devoir et le don de soi, par une vie rituelle, le strict respect de la Règle, une pensée symbolique et ternaire. Dans le cas contraire, il y a risque de déviation vers l’intellectualisme : le feu de l’alchimiste est mal conduit et l’athanor saute, détruisant la conscience.