C’est la faculté de se déterminer à certains actes et de les accomplir, mais également une énergie avec laquelle on exerce cette faculté pour atteindre un but. Elle est réservée à l’homme car liée à la conscience d’être et au désir de conduire l’existence. Elle est un moteur pour poursuivre des choix souvent réfléchis.
Ce mot n’évoque, en général, que l’aspect personnel, mais sur le plan initiatique il y a avant tout la volonté divine.
La volonté individuelle du profane est bien souvent commandée par l’ego ce qui la rend incompatible avec le sacré. Elle est source de désarroi et de difficultés. Et elle est illusoire. L’individu peut bien sûr faire ce qu’il veut, mais il ne peut pas vouloir ce qu’il veut (Schopenhauer). En fait, les plans de l’homme se réalisent parfois, mais ce qui advient réellement est ce que le Grand Architecte a décidé. Il est très prétentieux de désirer prendre la place du destin dont on ignore les desseins. Nul individu n’est complètement maître de sa marche.
La raison est simple. L’ego est ce grand usurpateur qui ne pense qu’à prendre, à s’affirmer, s’aimer, se satisfaire. L’appropriation est contraire au fondement de la spiritualité, à la Sagesse. S’approprier la volonté fait perdre la Sagesse, et tout le reste, car cela éloigne du divin. Celui qui se laisse entraîner par les mouvements de l’ego est attiré vers le bas, le temporel, le matériel ; il ne réalise que des choses impures, même sous les apparences de l’élévation. Les soufis disent qu’à vouloir atteindre le plus haut degré de la lumière, on prend du retard. En croyant mener les évènements, nous sommes maniés par eux. De là vient que l’individu râle si souvent. Le sage sait que le meilleur est toujours ce que le divin fait advenir.
Toutes les spiritualités recommandent de s’absorber dans la volonté divine par le don de soi. Saint Bernard, paraphrasant l’Evangile, dit clairement que « débarrassés du désir de notre propre gloire, nous pourrons creuser en toute sécurité la Pierre où sont cachés tous les trésors de la Sagesse et de la Connaissance ». Il s’agit de chercher à connaître les desseins du Grand Architecte auxquels nous devons nous conformer en toute chose. L’homme ne peut ressembler à Dieu qu’en cadrant modestement son vouloir sur lui. Le but initiatique ne peut être autre. Cette affirmation est redoutable car elle peut mener au fanatisme. La voie est étroite comme le fil de l’épée afin de ne pas confondre volonté personnelle et volonté divine ce que font les gourous modernes, consciemment ou non. L’intuition reste le meilleur moyen de garder une maîtrise de la démarche. Il y a en fait un continuum entre les deux volontés et il est nécessaire de savoir les distinguer. La pratique des rites qui développent une magie subtile imprégnant l’être et le guidant, est également un garde-fou pour éviter l’obstination.
Sur le plan du concept, la vraie volonté est donc celle du Principe créateur qui se pense et décide de créer par le Grand Architecte et la Veuve. Elle est alors le siège de l’Amour ; elle est la mère de l’univers. Nul ne peut s’y soustraire, mais nous pouvons nous y conformer en conscience.
Comment la connaître ? Le Grand Architecte a créé la Règle et dès lors la respecte car tout lui est soumis. Dans la manifestation, il n’est donc pas si libre qu’il n’y paraît. La mise en œuvre de la volonté passe par la Règle. Il suffit de la connaître et de s’y adapter. L’initié s’intègre ainsi progressivement à l’unité universelle, liant la Loi d’harmonie avec sa propre existence jusqu’à comprendre ce qu’est le retour à la Cause.
Comment tout cela se pratique-t-il ?
Le néophyte se regarde dans un miroir ; il ne se satisfait pas et souhaite évoluer. Il prend les choses en main et recherche la lumière ; mais chose bizarre, avec les années, il va s’apercevoir ensuite qu’il a perdu ce qui en lui la voulait. Paradoxe. Sa ténacité est passée du service de l’ego à celui du sacré. Son énergie s’est focalisée sur le désir initiatique qui se transforme ensuite en devoir et intention. Cette force est canalisée mais peut toujours s’exprimer pour le bien comme pour le mal ; elle peut s’exercer aussi bien matériellement qu’en vue d’une évolution personnelle ou dans les rapports avec les autres. Elle est le bras d’une motivation, d’une dynamique qui doit être positive.
L’effort est indispensable pour se mettre en mouvement, évoluer sur tous les plans et chercher à comprendre sa présence sur terre, sa finalité ultime. Cette énergie est nécessaire pour élargir avec persévérance la conscience vers l’œuvre divine. L’entrée dans une communauté initiatique est, en occident, la meilleure aide pour développer cette énergie.
Les Apprentis apprennent à diriger leur volonté et à ne pas gaspiller les richesses de la conscience, mettant à l’épreuve par le ciseau leur désir de création symbolisé par le maillet. Ils recherchent la Connaissance. Ils règlent leur démarche sur les principes créateurs de l’Harmonie universelle en cherchant à se délivrer de leurs entraves et à franchir les obstacles. La sagesse dans le comportement quotidien est d’adhérer aux évènements, de la même manière que le nageur ne brasse pas à contre-courant mais l’utilise. Son effort pour se dépasser est générateur de vie et de nourriture pour la conscience. Sa volonté intérieure s’appuie sur ses instincts vitaux pour les dépasser et faire émerger l’intuition. Ainsi unit-il ce qui est en bas à ce qui est en haut sans faire d’amalgame. Il « fait ce que doit », tout en sachant qu’il est plus difficile de faire son devoir que de le connaître.
Les Compagnons passent à l’accomplissement de la volonté divine et s’élèvent ainsi, aidés par l’intelligence du cœur. Ils peuvent entrer dans l’action, se dirigeant et se mettant en rectitude. Ils métamorphosent leurs petits désirs individuels, leurs ambitions personnelles. Cette transformation se nourrit sans cesse. Ils ne résistent pas à la hiérarchie communautaire, n’envient pas leurs pairs et ne se refusent jamais aux plus jeunes. Ils disent : « Je ne fais pas ce que je veux, et je fais ce que je hais », parole (soufie) qui semble folle à notre époque. Le combat le plus intime et le plus durable que doit mener l’initié est celui qu’il exerce vis à vis de son ego, car il sait que celui-ci veut détruire ou s’approprier ce qui n’appartient qu’au Principe créateur. Cette prescription est d’ailleurs dans la Règle de St Benoît.
Les Maîtres ont une volonté créatrice parfaite qui a perdu toute attache individuelle et qui s’identifie à celle du divin. Elle alimente l’être comme la communauté. « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de mon Père et d’accomplir son Œuvre » (Jean IV, 34). Tel est l’homme accompli, qui marche d’un pas ferme et est alors maître du vouloir (Tao 33). Son activité est bien réglée et il se donne en nourriture à ceux qui ont faim. La lutte contre l’ego est ici sans pitié alors que dans les petits mystères des faiblesses étaient acceptables. Malheur à celui qui est atteint d’aboulie car l’être subit et n’est plus réellement en rapport avec le monde. La mort permanente du « vieil homme » représente des sacrifices, des renoncements, des changements de points de vue.
Le Maître, partant du carré long argenté et des trois piliers, a construit et redressé le quatrième Pilier ou Conception. Mais il doit aller plus loin et transformer la Conception en Création pour achever le rectangle d’Or. Le déclencheur est cette volonté créatrice qui passe entre les mains de la Chambre du Milieu.