I.1.c L’EVEIL (Début de l’action en conscience ; la force d’entraînement mais risque de dispersion,
L’éveil ne peut naître que dans l’instant sous l’action du feu de l’esprit. Mais cela ne saurait suffire. Il ne se produit que si l’on entre en action initiatique, par une dynamique maîtrisée donc sans dispersion, et il en résulte une transparence et une simplicité. Mais on peut aussi voir les choses à l’inverse où des êtres simples et transparents s’animent avec enthousiasme pour entrer dans l’action initiatique. Ce n’est qu’ainsi que s’élargit la conscience de la communauté initiatique, toujours en état de réveil. Reprenons tout cela.
Et tout d’abord, quelle est la nature de l’éveil ? Ce mot vient des racines latines « veg/vig » qui contiennent l’idée d’animation, de force vitale ; « evigilare » signifiait mettre en état de veille, travailler sans relâche, méditer, élaborer, mûrir. On a ici l’essentiel, indissociable de la conscience. Celle-ci est une manière d’être attentif ou averti qui se distingue de celle du rêveur. Le sujet conscient est attentif à l’image qu’il retient et il est actif. Comme le dit Pradines, « La conscience ramasse son être dispersé ». Elle n’existe pas à l’état isolé : elle est toujours conscience de quelque chose.
Cependant, si elle est donnée par le cerveau et les sens, elle est certes utile, mais reste corporelle et donc vouée à disparaître. Il s’agit ici de la conscience initiatique qui est le confondement de l’existence avec la vie, celle de l’âme et de l’esprit, avec le Soi ; elle ouvre le chemin de l’éternité ; c’est l’éveil de la conscience intuitive, au-delà de toute fabrication mentale. Notre existence temporaire est le moyen incontournable pour que l’âme s’anime vers l’esprit, partie intégrante de l’Esprit universel.
La nature commence chaque année, comme chaque jour, par une phase de réveil, par une remise en action des êtres et des choses. La conscience initiatique n’est pas acquise définitivement et doit être régulièrement renouvelée, régénérée et enrichie par de nombreuses étapes afin de pouvoir perdurer dans le cœur des êtres et se transmettre aux nouvelles générations d’initiés. Le viatique d’Apprenti dit bien qu’un initié désire naître en permanence à la vie spirituelle. Il faut donc sans cesse revenir à l’éveil qui est une naissance, une sortie du sommeil spirituel. Nul ne peut être dans un « nirvana » permanent.
Pour cela, l’action est essentielle et doit se déclencher en permanence. Nous ne sommes pas des contemplatifs ; les bâtisseurs sont des acteurs qui ont le devoir de laisser une trace. L’acte n’est pas individuel mais issu de la volonté principielle traduite communautairement par la pensée et la parole qui doivent se corporifier. Réfléchir l’action, c’est la penser, la choisir, autrement dit avoir une certaine conscience de ce que l’on va faire. En fait, c’est plus particulièrement le début de l’action qui doit être réfléchi, car ensuite, l’action même comporte souvent une part d’inconnu et d’impondérable auxquels nous n’avons pas pensé. Mais au moins, l’action ira dans un sens choisi.
L’éveil se réalise par une dynamique, une force d’entraînement qui initie le mouvement. Cela correspond bien au Bélier qui est dans l’impulsion, pas la durée, contrairement au Taureau. Il est un symbole centré sur la tête et les cornes, donc sur l’élévation, le haut, le chef, la puissance, une force tourbillonnante qui entraîne et élève. Le Bélier est bien enclin à déclencher l’expression de cette force potentielle de manière impulsive, avec enthousiasme, partout où il est possible de le faire. « Cornu » en latin signifie corne mais aussi courage, énergie. Ces cornes sont des rayons lumineux mais spiralés. Tout doit toujours commencer par le haut, le saint des saints ; l’autel est le lieu le plus élevé du temple et la construction commence par l’Orient qui le contient. La tête est le saint des saints du temple qu’est l’homme, qui comporte les sept portes de la vie donnant accès au mystère. Mais pour entrer dans l’action initiatique, il s’agit de la tête spirituelle qui dirige et non de la tête corporelle, du cerveau. C’est l’équivalent du pyramidion, jamais posé, mais qui guide toute la construction de la pyramide, ou du Vénérable Maître, le chef de la communauté initiatique qui l’entraîne dans l’action.
Un danger nous guette cependant ; c’est la dispersion quand la force n’est pas maîtrisée. Il y a alors épuisement de l’énergie. Parfois, à vouloir bien faire, nous faisons mal car nous faisons trop. Nos pensées fonctionnent très souvent par association d’idées : une image en appelle une autre, jusqu’à ce que l’on s’aperçoive (ou non !) après quelques secondes, ou parfois minutes, que notre attention a dévié du sujet sur lequel nous souhaitions méditer, preuve d’une dispersion. C’est pourquoi il faudra la puissance stable du Taureau pour garantir que cette énergie jaillissante soit canalisée. La fraternité des signes du zodiaque est aussi indispensable au déploiement de l’initiation que celle qui règne dans une communauté.
La force de la conscience doit s’accompagner de l’enthousiasme, véritable moteur de notre action. Il révèle une certaine foi dans notre action, et nous aide à la réaliser. Étymologiquement, c’est l’inspiration divine donc être prêt à agir sur le modèle divin, avec le même amour que celui du Grand Architecte pour sa création. Cela a une force d’entraînement pour la communauté, mais qui doit être contrôlée, mesurée, maîtrisée.
Comment alors se manifeste l’éveil ? Par la transparence et la simplicité. La première, qui est une des clefs de la fraternité vécue, sans vanité, ni remords, ni rancœur, permet d’agir selon la volonté principielle. Nous devons nous découvrir au Grand Architecte et donc à nos frères. Par réciprocité, ils s’ouvriront à proportion ; si nous ne le faisons pas, ils ne le feront pas non plus. La transparence semble être aussi la cohérence que nous aurons entre nous-mêmes et notre action. Vivre en transparence, c’est abandonner les apparences. Cet abandon permet de diminuer les influences du monde profane, de retirer les obstacles au passage de la lumière. Ne faisons pas obstacle à la lumière sinon nous tuons la vie qui ne circule plus dans la communauté ! L’éveil sans un écrin de protection nommé « vigilance » peut être réduit à néant. La vigilance implique une qualité de regard et d’écoute indispensable à la préservation du trésor que représente l’initiation. La chaîne d’union est l’illustration de ce moment de transparence qui permet à l’énergie de circuler, donc d’éclairer.
Quant à la simplicité, elle est une réceptivité au divin car le moi, qui complique tout, ne fait plus obstacle. Ce mot vient du latin « simplex », d’une seule pièce, plié une fois (racine « sem/sim » liée à l’idée d’unité, racine « semel » signifiant une fois et « plicare » plier). L’être humain, par son cerveau rationnel et son moi, est plié de nombreuses fois, très complexe et changeant. L’initié doit donc se déplier pour dégager son identité réelle. La simplicité est proche de l’unité, de ce qui est premier. La simplicité est bonne conseillère, et cela bien au-delà de l’action. Être simple n’a donc rien de péjoratif ou de réducteur ; c’est tout simplement être conscient, et cela s’apprend. Quand on va du Un au multiple, on va vers ce qui est de plus en plus complexe. L’initiation permet le retour à l’origine, vers ce qui est l’extrême simplicité qui ne veut pas dire naïveté. C’est donc difficile, tant à pratiquer qu’à comprendre. « Simplicité ne veut pas dire facilité mais ingénuité d’intention et de procédés » (Isha Schwaller de Lubicz). A nous de nous méfier des déformations culturelles et de nous rapprocher de la nature.
En conclusion, nous devons être dans la première expression, donc la plus simple, de l’action qui se fait en transparence, car elle reflète l’essence de cette volonté de réalisation. Notre voie est difficile car très simple. Il suffit de suivre la Règle (la nôtre ne fait que trois pages ; rien de compliqué à assimiler) et la décomposition des devoirs selon les différentes fonctions réparties entre les frères ; aucun n’assume l’ensemble des fonctions et donc des devoirs. Cela commence par le silence qui fait taire nos pulsions multiples et complexes. Puis le Compagnon recherche la simplicité dans l’abstrait, et enfin le Maître dans l’unité.