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I.7.c LA RELATION A L’AUTRE (tolérance; bienveillance; douceur)

          Pour un initié, qui est l’autre ? Il y a trois cercles : les frères de sa Communauté (et les sœurs d’une Communauté féminine associée si elle existe), les proches (famille, amis, autres loges), les relations. Nous nous préoccuperons ici essentiellement de la Communauté initiatique. La tolérance ne semble pas une attitude initiatique et doit être remplacée par la bienveillance et la douceur, deux termes indissociables, à la condition qu’ils soient soumis à une règle.

          En effet, il faut revenir aux origines du mot tolérance. « Tolerantia » est, en latin, la pratique de l’endurance et de la patience ; pour un romain, c’est une vertu sans portée sociale qui s’exerce dans l’adversité, les difficultés. Avec les chrétiens, surtout Augustin, cela rentre dans l’éthique sociale et dans la diversité religieuse, essentiellement face aux hérétiques : tolérer les maux qu’un schisme provoque. On supporte de ceux qui nous semblent dans l’erreur sans accepter ce qui est jugé négatif. Aujourd’hui, c’est l’attitude qui respecte les convictions d’autrui, même si elles sont très différentes, mais toujours en se forçant. Le problème vient donc des monothéismes. Dans les polythéismes, il n’y a pas d’exclusivité du divin mais la possibilité d’interpréter les dieux des autres au moyen des siens ; la tolérance n’y a aucun sens ; il n’y a pas de raison de tolérer un dieu différent des miens puisque je peux l’assimiler, l’identifier à un des miens. Il n’y a donc aucun conflit religieux possible et même plutôt curiosité, désir de connaître pour s’enrichir. Un initié doit donc remplacer la tolérance par la découverte et l’assimilation de l’autre. Tolérance et intolérance sont deux feux identiques et inharmonieux, et il faut éviter ce biais binaire ; la règle ne demande ni l’une ni l’autre ; on ne peut ni tout accepter ni tout rejeter. Un initié accepte l’existence de tout mais ne laisse pas tout se faire.

          Il est donc nécessaire d’adopter la bienveillance et la douceur comme clefs de la relation à l’autre ; elles permettent la mise en place de la fraternité au cœur de la Communauté initiatique et ainsi d’assurer la transmission du Verbe. Mais comme la relation à l’autre n’est guère explicable rationnellement, si nous oublions la Règle, notamment dans le cadre quotidien au contact du monde profane, les difficultés surgissent. Même sur le plan individuel, l’absence de règle complique les relations entre les êtres, chacun ayant plus ou moins de facilité à aller vers l’autre, à l’accepter, à ne pas se considérer comme meilleur, surtout que la vie moderne a une fâcheuse tendance à opposer les êtres ou à les mettre en compétition.

          L’acceptation des écarts ou des différences doit se faire dans un seul objectif qui est celui du respect de la Règle ; ainsi disparaissent l’attachement ou l’aversion à des idées. En effet, dans le monde des bâtisseurs, si l’on peut accepter une marge d’ajustement ou d’erreur, elle doit être la plus faible possible pour que l’assemblage puisse être solide et durable. L’à peu près n’a pas sa place puisque l’harmonie de l’œuvre à élever est l’objectif principal. De même, dans une Communauté initiatique, il est difficile d’accepter des différences désordonnées ou des initiatives individuelles qui feraient dévier la loge de l’axe de son plan d’œuvre.

          Pour les soufis, un des noms de la présence divine, nom d’omniprésence, « al-Latîf », signifie « le bienveillant qui pénètre et domine tout avec douceur ». Les deux mots vont bien ensemble. C’est une sorte d’éthique de vie en dehors de toute morale qui donne l’accomplissement individuel comme celui de la Communauté initiatique (pour Comte-Sponville, la morale est ce qui reste de la peur quand on l’a oubliée ; l’éthique est ce qui reste de l’amour quand on s’en souvient).

          Ceci étant clarifié, voyons l’essence de la bienveillance et de la douceur. Avec le signe de la Balance, c’est bien l’heure des vendanges quand la chaleur s’adoucit. En hiéroglyphes égyptiens, le mot IMA signifie arbre, doux, gentil, charmant, agréable, bienveillant ; l’arbre était le symbole de la douceur de vivre ; il protège par son ombrage, puise les énergies vitales dans le sol et dans le ciel, fournit sans aucun calcul des fruits nourriciers et transmetteurs de vie. Les bouddhistes perçoivent l’arbre comme la sagesse du renoncement au désir. Lien entre terre et ciel, haut et bas, visible et invisible, il est donc symbole de vie, de transformation, de résurrection. Cette sagesse, dont l’étymologie vient de « sapere », goûter, évoque le goût et donc la douceur.

          Bienveillance se dit « Maitrī » en sanscrit avec le sens originel d’amitié, fraternité. L’étymologie de bienveillant dit que c’est « bien veuillant », du verbe vouloir. Il s’agit de la volonté appliquée à l’harmonie, vouloir faire vivre la loi d’harmonie. Cependant par analogie, on peut également dire que c’est « bien veiller » et donc une disposition à faire le bien. Mais comment définir ce bien qui est toujours relatif ? Par la Règle qui donne un orient aux choses et par l’intuition, ce qui peut faire accepter un degré d’écart, parfois source d’inspiration, tant que ce n’est pas un éloignement de la Règle. C’est le juste équilibre, donné par le signe de la Balance qui est un moment d’équinoxe, d’équilibre entre le jour et la nuit, entre l’ouverture et la droiture, entre la clémence et la rigueur, un état d’esprit d’abandon mais sans insouciance ni complaisance. C’est marcher sur le fil du rasoir, ce qui est difficile mais nécessaire à l’éveil. La relation au frère devient une adaptation avec bonté mais sans condescendance.

          Le critère est bien la balance, la pesée des âmes, qui n’est pas un jugement ni une critique : « Ne juge pas ton frère car tu ne sais pas ce qu’il vit ; si tu veux le juger, prend sa place et vis sa vie » dit un texte de sagesse. Il s’agit plutôt d’un jaugeage, à la fois du respect de la Règle et de la capacité à contenir l’énergie vitale pour l’exprimer par une lumière, une étoile qui puisse être un guide. On peut objecter que la balance n’est pas un de nos symboles. Cependant, il y a bien un symbole central, à la fois catalyseur de nos pensées et prisme qui jauge notre sincérité comme notre humilité : c’est le Tableau de Loge qui recueille toutes nos paroles puisque nous ne nous adressons qu’à lui et jamais à un frère sauf lors de la présentation d’un travail personnel. Ainsi, un frère qui parle exprime une conscience qui retourne à une conscience supérieure dont chacun fait partie, ou du moins a accès.

          Lao-Tseu dit : « La douceur l’emporte sur la dureté, et la faiblesse sur la force ». Cela permet de tout appréhender, pénétrer et dominer sans notion de supériorité ni attente de récompense en retour. C’est l’expression de l’amour au travers de la Connaissance. Cela peut aller jusqu’au pardon que Mozart a formulé dans le Don Giovanni.

          Le mot douceur nous semble bizarre car nous l’utilisons peu. Constatons d’abord que son contraire est l’amertume. Mais bien plus, il semble que cela soit un des attributs du Grand Architecte. Citons maître Eckhart : « Rien ne pénètre alors au cœur de l’homme qu’à travers la douceur de Dieu » (Livre de la consolation divine), ou Matthieu dans son Evangile : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur et vous trouverez le repos » ; c’est à dire que le Christ veut nous apprendre la douceur et l’humilité ; ou encore les textes pharaonique (Roman de Sinouhé) : « Pharaon est aussi un possesseur de charme, à la grande douceur, qui conquiert également par l’amour qu’il inspire ». Il n’y a pas de tranquillité d’âme sans douceur spirituelle. Le Vénérable Maître est à la fois intraitable car il est porteur de la Règle et un être dépositaire de l’amour de l’œuvre et de ses frères ; bienveillance et douceur font partie de ses qualités majeures. Elles produisent un élan vital qui autorise l’acte créateur. Pour en percevoir l’importance, il n’y a qu’à songer à leur contraire qui sont la destruction, la production de mort. On comprend souvent mieux les choses en les abordant par leur côté opposé.

          Dans une loge, l’Hospitalier est ici dans son rôle essentiel, garant de l’action envers les frères pour les accompagner. De même, les Surveillants accompagnent les jeunes frères, les guident dans leur démarche, et plus largement, la Veuve par la Communauté dans son ensemble joue cette fonction vis-à-vis de chacun. Elle a enfanté les frères pour les amener vers le Grand Architecte à l’Orient. Ainsi s’identifie la lumière en chacun pour la faire croître et s’exprimer. C’est ce que propose Lao Tseu (Tao-tê-king, 33) : « Connaître les autres, c’est être intelligent (avisé) ». Tchouang Tseu surenchérit : « Que l’autre et soi-même cessent de s’opposer ; c’est là le pivot du Tao. Ce pivot se trouve au centre du cercle… Le ciel et la terre sont nés en même temps que moi-même ; tous les êtres et moi-même ne font qu’un… Bienfaisant comme le printemps, il s’adapte à tous et à toutes les circonstances. Celui-là possède la capacité intégrale ». La vraie nature de l’autre est de porter un esprit, une part d’incréé comme nous (cf. Le Un est ce que nous pouvons…) ; il nous est semblable et il est une part de l’unité.

          Voyons maintenant comment la bienveillance et la douceur doivent se mettre en œuvre ? Elles permettent de tout relier à l’univers. La tendance de l’homme n’est pas de lier mais de s’opposer au monde qui l’entoure pour s’affirmer. Tout individu est isolé ; l’ego dresse un mur illusoire avec autrui. Il oublie ce que montre tout bébé qui vient au monde : pour rester vivant, il faut se relier. L’homme n’existe que par les relations qu’il tisse autour de lui en utilisant la force liante qu’est l’amour. Il est un être social, ne pouvant vivre et se développer sans les autres. C’est une des bases de l’initiation : le frère est essentiel dans la démarche pour évoluer, élever la conscience. La relation avec le frère devient un rapport, donc la recherche d’un troisième terme plus important que les éléments de base. Notre prise de parole en loge en est la manifestation. Les Nombres connus structurent nos relations sans hiérarchie figée puisque ces relations évoluent. Le mouvement est une modification de ces rapports, des relations entre les êtres et les choses, à l’origine de toute manifestation.

          On ne peut modifier un frère ; il s’agit de l’accepter tel qu’il est, sans s’opposer ni rejeter ni se fermer. Cette attitude est rarement naturelle mais fait partie de toute démarche initiatique. On ne connaît jamais vraiment tout ce qu’un être traverse et qui pourrait justifier ce qu’il est. L’essentiel reste la reconnaissance par la Communauté. Le respect du frère passe par l’écoute, la reconnaissance et l’intérêt pour la différence qui enrichit, voire pour les écarts s’ils sont source de créativité. Nous vivons une fraternité avec des êtres que nous n’aurions sans doute pas remarqués individuellement. Tout cela nécessite pour tous un travail sur soi et le rejet des réactions épidermiques comme des arrières pensées par une recherche permanente d’équilibre où cette attitude est réciproque. La curiosité pour les perceptions des autres frères est le meilleur moyen de ne pas sombrer dans un dogme.

          Il y a là une vraie magie communautaire qui ne fonctionne que par la souplesse d’esprit, sans brutalité, dans la quête d’un intérêt commun et dans la résolution des contraires hors des extrêmes. Ainsi les différences et les répulsions finissent par s’attirer et par interagir entre elles tout en restant dans les limites de l’harmonie. Là est la juste mesure, loin des excès et sans passion, caractéristique de la Balance.

          Chaque frère doit ainsi se demander en permanence comment il peut agir en fonction des Nombres qui lui sont connus et de son devoir. Un Apprenti raisonnera en terme de service, d’utilité, pour que ses frères ne manquent de rien ; c’est déjà cela participer en humilité à la construction du temple. Il sait que seule la Communauté initiatique peut le conduire à prendre conscience de ses justes potentialités et qu’il n’est qu’un fragment du tout. John Donne (Poète du début du 17ème siècle. Il a inspiré le titre du roman d’Hemingway « Pour qui sonne le glas ») a ainsi pu écrire :

« Nul homme n’est une île, un tout en soi ; chaque homme est partie du continent, partie du large ; si une parcelle de terre est emportée par les flots, pour l’Europe c’est une perte égale à celle d’un promontoire, autant qu’à celle d’un manoir de tes amis ou du tien. La mort de tout homme me diminue parce que je suis membre du genre humain. Aussi n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas : il sonne pour toi ».

          Que résulte-t-il de cette relation à l’autre bien construite ? Il se crée une relation harmonieuse, sans rugosité, sans faux semblant ni retenue. Cette relation est alors du miel pour chacun et donne la douceur du sucre aux choses. Rappelons le rituel d’initiation : « La sagesse, la fraternité et l’harmonie sont le lien de l’œuvre » et que le lien qui nous unit est la voie initiatique. Cette voie est un tissu de lumière. Être en relation intense avec ses frères c’est être en relation avec le Grand Architecte et donc l’univers. L’expression : « Nous ne sommes plus dans le monde profane », indique la recherche de relations justes avec l’univers et surtout entre l’Homme et le Grand Architecte, dans un rapport d’Harmonie qui entretient la vie. Les moyens pour cela sont la Règle, les symboles, les rituels, le Trait, l’Orient. La première relation au frère se fait dans l’accolade où deux polarités se joignent ; c’est à la fois un salut d’ouverture et une union de forces différentes et qui se reconnaissent un point commun dans l’étincelle divine. Ce symbole se prolonge dans la chaîne d’union, chaîne étoilée constituant une constellation de frères qui unissent leur feu sacré autour du Feu principiel : le frère n’existe que par les liens fraternels et cela l’intègre dans une chaîne qui n’est pas de ce monde, une fraternité cosmique. La chaîne est l’apothéose d’une tenue, son chef d’œuvre. Les frères y deviennent des pierres vivantes interdépendantes qui vivent la tradition par un lien intemporel. L’individu profane est mis au second plan ; si l’histoire de chacun nourrit la loge et en fait sa singularité, les origines sociales et culturelles ne sont plus essentielles car, par le respect de la Règle, est reconnu que nous avons tous la même origine, la lumière. Toute volonté individuelle d’imposer ses idées, d’être en compétition, de vouloir briller s’effondre ; aucun frère n’est au centre ; celui-ci est la Communauté initiatique ; se tourner vers ce centre c’est se tourner vers les frères et aller vers la Connaissance.

          Ainsi se construit et s’entretient la fraternité sans passion ; le goût de la vie communautaire éclot. Une pyramide s’édifie avec des pierres d’un bon poids mais qui semblent si légères tant elles sont parfaitement incorporées dans l’ensemble avec des joints fins et discrets, parfaitement ajustées. Le modèle est celui du maître de musique décrit par H. Hesse dans le Jeu des Perles de Verre : « Cet homme possédait à tel point la vertu de la sérénité qu’elle rayonnait de lui comme la lumière d’un soleil, qu’elle débordait sur tous, flot de bienveillance, de joie de vivre, de bonne humeur, de confiance et d’assurance ». C’est exactement ce que recommande la science moderne pour que les apprentissages, notamment d’enfants, soient optimaux quand la confiance, la sécurité, la liberté et le plaisir sont au rendez-vous (Edouard Gentaz de l’Université de Genève).

          Chaque frère, prenant sa source dans l’amour envers toutes les formes de la création, a alors à cœur de faire réussir l’autre et à s’en réjouir. Il ne s’agit pas de faire plaisir mais d’être dans une dynamique vitale qui peut amener à bousculer les êtres avec finesse et subtilité dans leur intérêt mais sans écouter son propre ego. Chercher le meilleur pour l’autre pour qu’il puisse exprimer le meilleur de lui-même. Nul ne peut faire à la place d’un autre ; chacun est responsable de ses actes et donc de son cheminement. Toute voie spirituelle authentique implique d’être exigeant avec soi-même, de prendre conscience de la diversité des frères, notamment dans leur fonctionnement ; ce qui est bon pour l’un ne l’est pas toujours pour l’autre ; chacun apprend de l’autre par identification. La règle ne demande pas de renoncer à son originalité car celle-ci peut renforcer la communauté où chacun doit pouvoir s’épanouir.

          A l’image de l’arbre, puissions-nous faire vivre un rapport à la vie dans un équilibre dynamique qui construit la fraternité, sans à peu près, basé sur les différences entre les frères unis par la règle et l’amour de l’œuvre.


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