II. 1 Les Vertus Theologales
« La culture dans le monde nécessite quatre éléments : on amasse dans la grange grâce à l’eau, à la terre, au vent et à la lumière. Telle est aussi la culture de Dieu grâce à quatre éléments : foi, espérance, amour et connaissance. La foi est notre terre où nous nous enracinons ; l’espérance est l’eau dont nous nous abreuvons ; l’amour est le vent qui nous fait croître ; la connaissance est la lumière qui nous amène à maturité » (Évangile selon Philippe. 115).
Dans certains rituels, il est mentionné que « ni vice ni vertu ne franchiront la porte du temple », ceci parce qu’il s’agit du sens profane. Le vice initiatique n’est pas en rapport avec la morale mais avec la construction de l’être ou de l’édifice, donc c’est un vice d’édification. Pour la vertu il en va de même ; elle n’a pas de sens moral ; elle est en rapport avec le vécu de la Règle et sa mise en œuvre.
Les trois Vertus théologales ont classiquement le divin pour objet et sont liées aux états de conscience spirituelle : « La culture dans le monde nécessite quatre éléments : on amasse dans la grange grâce à l’eau, à la terre, au vent et à la lumière. Telle est aussi la culture de Dieu grâce à quatre éléments : foi, espérance, amour et connaissance. La foi est notre terre où nous nous enracinons ; l’espérance est l’eau dont nous nous abreuvons ; l’amour est le vent qui nous fait croître ; la connaissance est la lumière qui nous amène à maturité » (Évangile selon Philippe. 115). Cela rejoint le texte de Saint Paul (I Co 13, 13) : « Maintenant donc, ces trois-là demeurent, la foi, l’espérance et l’amour mais l’amour est le plus grand ». Ces Vertus, selon la théologie chrétienne, sont là pour guider les hommes dans leur rapport au monde et à Dieu. Elles disposent l’homme à vivre en relation avec Lui. Au ciel, seule la charité (amour) subsistera, sous la forme de la vision directe de Dieu. Vues ainsi, elles sont d’inspiration religieuse plutôt qu’ésotérique.
Dans un rituel maçonnique anglais de rite Émulation (après la planche tracée du premier degré), il est dit : « La Foi dans le Grand Architecte de l’Univers, l’Espérance dans le salut et la Charité envers tous nos semblables. La Charité rejoint les cieux et repose sur le Volume de la Sainte Loi, car les doctrines contenues dans ce Livre Sacré nous enseignent à croire aux sages préceptes de la Divine Providence... Et le dernier, étant la Charité, renferme le tout, et le Franc-Maçon qui possède cette vertu dans son sens le plus vaste, peut être considéré à juste titre, comme ayant atteint le sommet de sa profession spirituelle ».
Les Vertus théologales sont en fait des éléments structurels et des moteurs en Initiation, permettant notamment de retourner vers le Un. Elles ne sont pas des capacités qui s’acquièrent, mais elles existent intrinsèquement en chacun de nous et nous pouvons tous les vivre. Ce sont également des qualités qui se pratiquent au sein de toute Communauté initiatique. Elles sont alors source de transcendance et pour les vivre, il nous faut nous tourner vers l’incréé, le divin et jamais vers l’humanité. C’est ce qu’affirme le Tao : « Réaliser la nature céleste, ceci s’appelle pratiquer la vertu. Perdre la nature, c’est valoriser l’humanité… Si l’humanité et la justice sont prises pour base, Dao et vertu sont bannis » (Huainan Zi, XI, 1a. Œuvre collective de Liu An et ses compagnons). Le rituel du R.I.T.E. enfonce le clou : « La vertu c’est demeurer sur la voie quelles que soient les difficultés rencontrées ; c’est avoir la volonté et la capacité de connaître ; rien ne manque si la volonté est droite et vraie, ni l’amour, ni l’humilité, ni aucune vertu ; c’est une force du cœur pour conduire l’existence selon la divine harmonie afin de l’élever au rang de la création ». Saint Bernard ajoute que la sagesse, c’est l’amour de la vertu.
Pour les envisager, nous allons les mettre en rapport avec les trois Grands Piliers ; Sagesse pour la Foi, Force pour l’Espérance et Amour pour l’Harmonie. Elles forment donc une ternarité, chacune de ces énergies devant être abordée en accord avec les deux autres éléments. Une Foi portée par une Espérance dénuée d’Amour est quelque peu abominable ; l’histoire le prouve.
Commençons donc par la sagesse avec la Foi qui crée la possibilité d’aller vers le Un.
Selon la doctrine chrétienne, elle est la disposition à croire aux vérités révélées. En fait, elle est la terre où l’on s’enracine, le pavé mosaïque selon Guillaume Durand de Mende. Elle est la base et le ciment de l’existence de la Communauté Initiatique. Sa signification première vient de l’étymologie « fides », confiance, loyauté, droiture, conscience, authenticité, sincérité, parole donnée, fidélité. Lors du Rituel nous pratiquons la lecture du Prologue de Jean. Ce Prologue pose les bases de notre Foi envers notre mythe de création qui part d’un Principe créateur. Nous ne pouvons prouver qu’il existe mais notre intuition nous porte dans ce sens et ainsi à faire confiance en l’autre, au Frère, au témoin. En même temps, « fides » est une déesse, donc un guide pour l’homme. Il n’y a là aucune notion de croyance ou même de certitude. La croyance tend à annihiler la capacité de recherche des êtres dans le sens où la vérité révélée n’a pas besoin d’être travaillée pour s’acquérir. Comme s’il suffisait d’adhérer et de croire à une vérité, même révélée, pour l’atteindre ! Il est facile de croire en tout et n’importe quoi ou de ne plus y croire. C’est du plan du mental. La Foi se situe sur un plan supérieur. Mais alors, à qui se fier ? Pas au Grand Architecte qui ne nous dit ni ne nous demande rien. En loge, on ne demande aucune croyance mais de faire vivre le rite comme si le Créateur était présent. Nous avons confiance en la Communauté initiatique, en la Règle. La Foi est l’engagement de l’initié envers sa Communauté initiatique. Elle est matérialisée par la Règle et son suivi met en harmonie avec soi-même, les frères et l’univers. Faire don de son engagement à la voie communautaire c’est faire vœu de vouloir s’intégrer à la Communauté initiatique afin d’être reconnu digne d’atteindre à d’autres Mystères : « L’entrée dans notre Communauté initiatique implique donc, sans réserve aucune, la foi totale en ce qui vient d’être évoqué (la Règle), ainsi qu’une adhésion entière et sans arrière-pensée. La réussite est à ce prix » (rituel d’initiation).
Comme pour Jean, notre Foi s’anime dans le témoignage et nous ouvre la possibilité de vivre en pleine conscience les Mystères de l’Univers et de tendre vers le bonheur, non pas individuel mais communautaire. Elle se vit dans le temple à travers les rituels. Cependant l’apôtre Philippe nous suggère qu’elle ne sert à rien (comme les deux autres vertus) sans la Connaissance ; elle est la Connaissance par l’intelligence du cœur.
Alors, elle permet d’avancer pour intégrer la hiérarchie de la loge et ne pas se perdre. Elle est nécessaire pour s’impliquer et trouver le chemin du Temple. Elle « donne du chemin aux pieds », selon l’expression égyptienne. Quand elle cesse d’être conviction mais qu’elle nous envahit, nous enveloppe, c’est le don de Lumière. Elle permet d’être responsable de la matérialisation de son propre désir afin de le développer, de le renforcer et de le mettre en harmonie avec toutes les dimensions de l’existence communautaire afin de l’intégrer dans le plan d’œuvre. C’est bien le désir de Vie en Harmonie avec le Sacré, la conscience de la nécessité d’une fraternité et du Devoir de transmission qui sont à l’origine d’une Communauté initiatique.
Peut-être surtout, la Foi nous donne vie. Saint Paul nous dit qu’elle naît de l’écoute. Nous sommes donc ici dans l’ouverture de l’oreille du cœur. En Égypte ancienne, les oreilles sont appelées les « vivantes », en hiéroglyphe : « ˁnḫwy ».
Ceci est à mettre en relation avec cette phrase du rituel qui nous dit : « V:. M:., comment les apprentis reconnaîtront-ils l’énergie dont ils ont besoin ? V:. M:. : S’ils sont capables d’entendre ce que proclame le devoir ils découvriront le chemin de Vie ».
Écouter se dit « sḏm » en hiéroglyphe égyptien, percevoir, voir par l’oreille ce qui est dans l’invisible ; celui-ci est formulé par la chouette qui voit au-delà des apparences. « sḏm » c’est aussi « rester comme tel » et donc être soi-même.
La Foi semble donc être la quête de l’Apprenti dans son cheminement dans le divin, vers le Un ; il doit vivre en toute transparence et ne doit pas hésiter à poser les questions qui lui permettrons d’être construit par l’oreille.
La couleur de la Foi pourrait être le bleu, celle du temple, de l’amour fidèle, de l’appel de la spiritualité vers le bleu du ciel, celle de la gloire divine, en liaison avec l’Air.
L’aspect Force des Vertus théologales est l’Espérance qui anime notre recherche du Un. L’Espérance se matérialise dans l’action impulsée par la Foi. Elle est la gestation patiente de ce qui est conçu par la Foi. C’est la hauteur du Temple, dit le rituel, c’est à dire qu’elle est un Feu qui permet de passer de l’initiation virtuelle à l’initiation réelle par la Connaissance. Elle incite à regarder haut et loin. Force d’aspiration de l’être vers le divin, elle élève l’esprit vers sa source, tout en gardant les pieds sur terre par la Foi. Elle est le deuxième moteur initiatique, indissociable du mouvement au sein de la Communauté. Ainsi l’initié sait que s’il ne fait rien, il n’arrivera à rien. La magie des rituels qu’il pratique n’aura d’action que s’il participe pleinement à leur réalisation. Dans le viatique d’Apprenti, la dernière question est en rapport avec elle : « Avez-vous une aspiration ? Celle de m’intégrer à la Communauté initiatique afin d’être digne d’atteindre à d’autres Mystères ».
Pour les chrétiens, l’espérance consiste à considérer la béatitude comme probable. Dans la démarche initiatique qui se vit communautairement, nous pouvons vivre ici et maintenant des moments de béatitude, de bonheur ; le voyage sur le chemin de vie est fait de joie. L’Espérance concerne donc plutôt notre désir de Connaissance.
Mais attention, Espérance n’est pas espoir, car, comme dit le dicton : « Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ». Cette citation, empreinte d’expérience, sous-entend que la réussite n’est pas une finalité et que le désir initiatique a pour vocation de se transformer en entreprise persévérante. L’espoir est plus du domaine du vœu, de l’attente, orienté vers quelque chose que l’on veut avoir, comme le néophyte qui espère être admis aux mystères. L’Espérance se situe dans la concrétisation de notre action pour nous guider sur les voix de la Connaissance. Si en tant qu’individu, nous entrons en Initiation avec cette Espérance pour nous, celle-ci s’efface au profit de la Communauté Initiatique. Notre action est entièrement liée à celle de la Communauté. L’Initié « fait ce qu’il doit, et advienne que pourra ». Nous n’avons rien à attendre du Grand Architecte si ce n’est qu’il inspire notre voie Communautaire, et encore moins d’un accomplissement après notre décès. Nous agissons ici et maintenant dans l’éternité de l’instant. L’Espérance est plutôt un sentiment, un état de confiance qui élargit la conscience sans but précis, car tout but enferme.
Elle naît dans la capacité de voir, non plus par l’oreille mais par l’œil, ce qui permet de devenir ce que l’on doit être. Le hiéroglyphe de l’œil, « ir », signifie créer, faire. L’œil permet de se projeter dans l’action, dans l’espace mais aussi dans le monde qui est au-delà des apparences. Voir se dit également « maa » en hiéroglyphe qui s’écrit notamment avec la faux et le vautour percnoptère. Cela permet de trancher, de récolter ce qui est dans l’origine comme le montre la faux et le vautour percnoptère. Par la faux naîtront les pensées justes et l’intention. C’est ce qui est dit dans le rituel du Banquet : « V:. M:., comment les Compagnons reconnaîtront-ils l’énergie dont ils ont besoin ? V:. M:. : Si leurs intentions ont le pouvoir de se transformer en pensées justes, ils découvriront les chemins secrets de la Pierre Cubique ».
Un des symboles de l’Espérance dans certaines représentations picturales est l’ancre du bateau ou même la barque. Elle consiste donc à avoir la volonté, le désir d’embarquer dans le navire, de voyager dans l’invisible sans idée de retour et sans but à atteindre. C’est ce voyage porté par la Règle qui nous emmène vers des destinations insoupçonnées. C’est un voyage cyclique. Nous avançons en spirale, sur une double spirale à la fois vers l’origine de la création, vers le centre du mystère, vers le Un, mais aussi nous élargissons notre vision pour avoir une perception plus grande de l’univers. Nous voyageons vers le cœur de la Connaissance tout en ouvrant notre perception sur la Connaissance sensible du monde et ses mystères.
On peut rattacher l’Espérance au vert, couleur de la contemplation (« qu’il voit et qu’il médite »), de la croissance, du VITRIOL ou lion vert, de la jeunesse, de la vigueur et de la régénération, et de ce qui doit mûrir vers le rouge de l’amour.
L’Amour est à l’origine de la Vie. Dans une Communauté initiatique mais également pour les individus, il réunit harmonieusement ce que nous sommes et nos actions et c’est ainsi que l’on peut le voir comme l’aspect Harmonie des Vertus théologales. Ainsi la boucle est bouclée : parce que nous le ressentons, nous avons retrouvé la Foi et il nous donne l’Espérance pour que nous puissions le retrouver, le vivre et le faire rayonner. C’est bien à la rencontre de cet Amour que nous sommes entrés dans notre démarche initiatique. Il est bien la Vertu qui couronne notre démarche, et transcende les deux autres.
Au Moyen-Age, on parlait de la Charité, (du latin « Caritas » : cherté, haut prix, amour, affection), c’est à dire l’amour de Dieu et de son prochain pour l’amour de Dieu. Ce sens chrétien est une affection qui consiste à tenter de faire le bien, avec tous les effets négatifs que cela peut entraîner (le bien attire le mal...). L’Amour dont il est question ici est l’Amour créateur, en action, permettant à la création de prendre forme. Implicite au Principe qui est l’Unité primordiale, absolue, ineffable, il lui permet de Se regarder, de Se penser, et de Se scinder pour créer, à partir du Un, le Deux ou dualité. Il est le ciment du Principe avec Sa création.
En hiéroglyphe, cela s’écrit « mrwt » et aimer « mri », la houe qui creuse le sol et la bouche. C’est formuler ce que l’on révèle avec la houe, l’invisible et les lois qui régissent ce monde ; en formulant, la bouche creuse la matière de l’œuvre qu’elle soit de pierre, de bois ou de terre. L’Amour support de formulation n’est pas sans rappeler la planche à tracer.
Il est énergie vitale. Ainsi s’exerce la magie de la vie, et une Communauté initiatique se comporte de même, rendant initiatique tout acte accompli en conformité avec la loi d’Amour. Nous retrouvons la Règle. Ses symboles sont les bras ouverts, les enfants accueillis, le cœur enflammé. Il est l’énergie de l’univers. Aimer, c’est utiliser cette énergie, moteur suprême qui traverse, meut et se révèle dans tout ce qui vit. Le pratiquer c’est se fondre dans cette énergie qui lie tout l’univers et s’oppose à l’entropie naturelle. C’est le don de vie. Il parcourt toute création pour peu qu’elle soit ordonnée selon la Règle. Il est la largeur du temple, dit le rituel, donc ce qui élargit le cœur. Il n’a pas de motif ; on aime par amour de l’Amour. Mais là encore, il serait aveugle sans la Connaissance.
Il est alors d’une certaine manière la base de la fraternité qui consiste à accepter ses frères tels qu’ils sont, sans les juger, ni chercher à les changer, tout en considérant leurs différences comme une richesse, c’est-à-dire de les voir à leur juste valeur comme des êtres uniques. Les écouter, les accepter, les concilier et les intégrer, telles sont les expressions de l’Amour initiatique dans lequel les choses prennent de la valeur par le partage. Tel un joyau longuement conçu, patiemment taillé et amoureusement poli, le banquet est un moment de fraternité qui exprime l’Amour du Principe et de celui des frères pour l’amour de la Veuve.
Sa couleur est le rouge, tendant vers le pourpre ; c’est le Feu créateur, source de transmission, qui éveille en l’homme la conscience et qui brûle le phénix pour qu’il renaisse.
Ces Vertus théologales sont ainsi des guides sur la voie initiatique. Il y a une analogie avec le rituel égyptien de l’ouverture des oreilles (Foi), des yeux (Espérance) et de la bouche (Amour). Mais alors, qu’en est-il de l’ouverture du nez ? Le nez est le lieu de la respiration et donc du lieu qui reçoit la vie et la transmet au cœur « haty ». Le Nez est l’expression de la bonté divine, de cette bonté qui donne la vie. L’initié doit se donner au divin par le détachement de son ego ; un détachement vécu dans l’action, par la réalisation du soi à travers le don de son être à la Communauté initiatique afin de participer à la concrétisation de la loi d’Amour via l’Être communautaire. « Par le savoir on arrive à la croyance ; par le pouvoir on arrive à la conviction ; par le confondement on arrive à la Foi, puis à l’absolue certitude » (Her-Bak Pois Chiche – Isha Schwaller de Lubicz). Cette absolue certitude est l’Amour.