Après le rôle de sagesse du Grand Architecte de l’Univers et celui de dynamique de la Veuve, nous abordons l’aspect harmonie avec la finalité de la Magie agissant dans l’univers et d’où la Vie va être suscitée. Le Principe met à disposition les puissances créatrices et transmet le Verbe créateur ; dès lors, le Grand Architecte incarne ce Verbe et la Veuve crée les conditions pour la mise en action de la Magie.
Mais tout d’abord, qu’est cette Magie divine ? Il ne faut pas la confondre avec l’Alchimie. Le Démiurge avec la Veuve pratique les deux. L’Alchimie provoque des transmutations, c’est à dire des changements de nature alors que la Magie provoque des mutations, tout particulièrement de la Lumière, des énergies, mais dont la nature ne change pas.
La Magie, dans son principe, n’est pas humaine. Ce n’est que dans la deuxième partie du plan de travail que nous verrons comment l’homme peut tenter de suivre le divin. Elle est donc issue du couple divin qui génère et maîtrise des forces immanentes pour créer par l’intermédiaire des puissances créatrices et régir toute la nature comme nous l’avons vu dans les deux précédents chapitres. Toute création fait venir à l’existence ; dans l’Égypte ancienne, exister se disait « oun », et pouvait s’écrire avec une spirale, symbole de l’abstrait, chemin du déploiement de la Vie, placée sur le « n », symbole d’énergie. Ce sont les forces créatrices qui sortent de l’énergie cosmique. La Vie est une énergie jaillissant des puissances créatrices. C’est ce à quoi fait appel la Magie. Ainsi sont nouées et dénouées des énergies. Cela se retrouve dans le mot égyptien « heka », qui signifie magie, et dont la première lettre, h, est une corde à nœuds, analogue à celle qui entoure le tableau de loge et le haut du temple, similaire à la chaîne d’union qui relie les frères en faisant circuler une énergie, instant magique de mise en jeu des puissances créatrices. Les nœuds magiques relient les différentes parties de l’Homme Universel ou zodiacal, composé des douze polarisations fondamentales de l’énergie principielle. C’est l’équivalent d’Isis rassemblant les différentes parties du corps d’Osiris et lui redonnant vie. Ainsi se scelle l’union de l’univers.
Comment cette magie peut-elle régir les puissances créatrices ? Y a-t-il une différence entre puissances créatrices et fonctions créatrices ? En fait, chaque fonction créatrice détient et met en œuvre une puissance, une capacité de participer à la création sans pouvoir agir seule. Équivalentes de l’Ennéade égyptienne dans leur formulation actuelle, elles ne sont pas humaines, même si lors des tenues, un frère se coule dans un office pour la manifester ; ces fonctions correspondent aux dieux égyptiens et mésopotamiens et ne sont que des aspects de l’Unité divine.
Qu’est-ce que régir ? Du latin « regere » (gouverner, diriger) régir implique également le sens de déterminer le fonctionnement par une règle, donc régler. La Magie s’appuie sur la Règle. Le sceptre égyptien de Pharaon, « heka », est magique ; c’est un bâton de gouvernement (porté par Pharaon avec le flabellum). Ce sceptre s’écrit, pour la première lettre, avec un crochet de berger qui permet de saisir à distance les animaux que l’on veut attraper. Symboliquement, ces animaux sont des puissances que l’on capte afin d’en faire des nourritures. Mais, par le jeu de l’homonymie dont les égyptiens étaient très friands et similaire à notre « langage des oiseaux », héka est aussi le ferment qui fait lever la pâte du pain et fermenter la bière. Ce héka est donc à la base de l’alimentation égyptienne qui fait que l’être se nourrit de magie, puissance que nous partageons à la table du banquet et qui unit les frères.
De plus, la bière se fait avec de l’orge fermentée ; cette matière première, l’orge, « it » en égyptien, signifie aussi père. Et « it » mis au pluriel signifie les ancêtres. Les Égyptiens, par la bière et le pain, se nourrissaient des ancêtres. Ajoutons qu’Atoum, le Principe, se disait « itm(w) ». Atoum est à la fois père-mère (Grand Architecte et Veuve) qui s’autogénére et met à lui seul en œuvre la création. La Magie jaillit bien par l’expression des puissances mâle et femelle unies dans un même être. Elle gouverne bien la naissance en captant les puissances qu’elle unit pour que naisse l’œuvre ; elle régit l’énergie sous toutes ses formes.
Ces puissances sont nos fonctions créatrices. Elles sont neuf et se basent sur les Lois Causales, Sagesse-Force-Harmonie, symbolisées par les trois Piliers selon un carré long argenté. Quand il est dit que la Magie consiste à régir les puissances créatrices, cela revient à mettre en mouvement ces trois Piliers qui sont fixes. C’est l’objet de la Géométrie sacrée et montre ainsi que la Magie correspond bien au grade de Compagnon.
Cette Magie fait apparaître un carré long doré (cf. schéma ci-dessus à partir des trois Piliers du temple). L’apparition de Phi, la Vie divine, fait que la conception Co est possible et la création Cr peut se dérouler (cf. Le langage initiatique des symboles. Le Léopard d’Or). La Magie est bien un art qui consiste en la connaissance des lois naturelles pour les mettre en œuvre de façon consciente. Ce tracé montre qu’elle réside pour l’essentiel dans un jeu de Nombres qui, en leur qualité de réalité universelle, déterminent les formes.
Il en résulte alors la Vie sous toutes ses formes. Mais il est dit que la Magie suscite la Vie. Il n’est pas dit que la Magie crée la Vie. Susciter vient du latin « suscitare », faire bouger par dessous, élever, faire se dresser, bâtir, éveiller ; ce mot contient l’idée de mouvement (« citare », fréquentatif de « ciere », mouvoir). C’est donc participer de la cause déterminante de la Vie, la faire naître. La Vie apparaît ainsi comme une énergie jaillissant de puissances créatrices, comme le phénomène éternel qui anime l’univers tout en restant intangible. Elle émane du Principe créateur avec une valeur essentiellement sacrée.
Dans le tracé ci-dessus, le carré long obtenu est doré car il fait apparaître le Nombre d’Or, Φ, qui est la Vie divine selon Koelliker. Ainsi la Magie divine fait apparaître, suscite la Vie. Plus même, elle permet la quadrature du cercle en volume, le passage du cube à la sphère de même volume (le côté a du cube est relié au rayon de la sphère r tel que a = Φ.r avec une approximation très satisfaisante) ; c’est le passage du ciel à la terre et réciproquement ; la Magie suscite l’immanence et la transcendance.
Autrement dit, régir les puissances créatrices fait éveiller la Vie, et même construit la Vie ; cela relève bien du couple Grand Architecte-Veuve. Cette émergence dans la création est une incarnation dans la manifestation parfaitement agissante. C’est bien l’action du Grand Architecte de l’Univers et de la Veuve qui manifeste la Vie sous toutes ses formes visibles et invisibles, d’une manière certes mystérieuse mais qui donne une conscience à l’univers.
C’est ainsi que se répand la Vie dans tout l’univers ; la Vie anime l’univers, et le Verbe qui est la Vie, s’incarne. La Magie, en mettant de l’ordre dans les énergies, que cela soit dans le macrocosme ou dans les microcosmes, permet à la Vie de s’étendre, de structurer l’univers et par là même, d’enrichir la conscience universelle, comme les consciences particulières. La Vie est bien conscience et impulsion (Hermès : « Ce n’est pas le fait de naître qui est la Vie, mais la conscience »). La Vie, dans son essence, est la conscience de l’univers, et prend des formes multiples, temporaires, qu’elles soient minérales, végétales, animales... ; toutes ces formes lui permettent de faire l’expérience d’elle-même.
On peut donc dire que la conscience pure, sans forme, immatérielle, incréée, est la Vie, bien distincte de la conscience mentale qui est corporelle et liée au cerveau. C’est pourquoi les égyptiens parlaient de l’intelligence du cœur, lieu de la conscience. C’est ce que précise R.A Schwaller de Lubicz (AOR, L’appel du feu) : « Ne confonds pas ! Il y a cet état de veille qui est fonction du cerveau et des sens et que tu appelles conscience aussi. Ceci est la conscience du corps. Elle meurt avec lui. Il y a aussi cette conscience, souvent inconnue de l’intelligence, qui est le confondement de ta vie avec la Vie. Cette conscience ne meurt pas. Elle ne s’inscrit nulle part. Elle est un pouvoir, le seul vrai pouvoir ».
La Magie suscite la conscience.
Les anciens égyptiens affirmaient également que la Magie donne la Vie. En effet, toujours par l’homonymie en liaison avec la bière, alors que Khnoum modèle l’être à venir sur son tour de potier, la déesse grenouille « hkt », Héqet (elle aide les femmes lors de l’accouchement), lui donne la vie en lui présentant le signe « ankh » (vie) à la narine (qui reçoit le souffle).
Tout mythe de création aborde le phénomène d’émergence de la Vie par l’action divine. Le nôtre fait vivre la résurrection du Maître d’œuvre, donc l’incarnation de l’Esprit et ainsi la transmission de la Vie par l’action de la Veuve. Celle-ci a une manière particulière de faire jaillir la Vie. Isis ne ressuscite pas Osiris qui est mort mais recrée son sexe, son phallus qui est sa puissance de création. Elle ramène à l’existence sa puissance pour donner naissance à Horus. La Veuve ne reconstitue pas le corps du Maître pour le ramener à la vie mais pour que son pouvoir de création, le Verbe, vive. « Par la puissance de ses incantations rituelles, par la magie du Verbe, par le souffle de ses ailes, Isis accomplit les transmutations indispensables et réanime le corps du dieu. Elle reconstitue le sexe d’Osiris qui avait été avalé par le poisson oxyrhinque au bec pointu. Se transformant en faucon femelle, elle s’unit à lui dans le secret. Fécondée, elle enfante la lumière en donnant naissance à leur fils Horus » (Elvira Gemeinde, N 50, Les Francs-Maçons enfants de la Veuve, MDV). Cela insiste sur le rôle des rituels qui sont donc déclencheurs de vie et permettent d’entrer en elle en conscience, d’y participer activement, d’être témoin de la Magie qui s’opère. C’est le seul moyen de vivre le Verbe comme le propose le prologue de Jean : « Le Verbe est la Vie, et la Vie est la Lumière des hommes ». C’est une dynamique inépuisable qui fait que l’on doit se nourrir prioritairement par la pratique du Verbe.
Car la Vie, dans sa manifestation, est mouvement éternel, cyclique. Générée par le couple primordial, Grand Architecte-Veuve, elle incite à harmoniser les contraires et à pratiquer les cycles comme naissance-existence-mort, orient-occident-orient, voie longue-voie brève, temps linéaire et temps cyclique. Elle montre qu’elle est tout autant une énergie corporifiée symbolisée par la pierre avec les quatre éléments Terre-Air-Eau-feu, une âme comme énergie invisible ou un esprit comme source incréée en dehors de tout mouvement.
Tout ceci échappe en grande partie à l’homme qui veut tout humaniser, y compris la vie. Nous évoquions ci-dessus la mise en mouvement des Piliers ; chose difficile à voir puisqu’ils sont fixes. Dans l’opéra de Mozart, « Cosi van tutte », si la mise en scène est respectée, on les voit se mouvoir dans une danse particulière. Est-ce que ce sont réellement toutes les femmes « qui font ainsi » ? Mozart n’était pas misogyne. Il s’agit en fait des loges initiatiques, au-delà de l’humain. Seules les loges animée par une Règle de vie et agissant par la volonté du Grand Architecte peuvent tenter de participer en conscience à cette vie ; pas l’individu, même initié. Véritables manifestation de la Veuve, elles entendent le Verbe et mettent en œuvre les fonctions créatrices ce qui leur permet d’actualiser ici et maintenant le mythe de l’Homme Universel et de rendre ainsi perceptible le Grand Architecte et la Veuve par le rituel.