Les fonctions créatrices sont celles qui agissent dans le processus de création de l’Univers. D’autres sont en action dans l’Univers, mais elles sont les seules émanant de la Volonté du Principe. Elles sont les forces en action dans la manifestation, pour faire apparaître les potentialités issues de l’incréé et les concrétiser. Elles émanent de la force d’Amour, force unique issue du Principe, régissant la Vie tout en étant issue de celle-ci. La Magie consiste à reconnaître cet Amour dans toutes ses formes d’action et de le mettre en œuvre, ce qui ne peut se faire qu’au travers des fonctions créatrices. Il est impossible de définir l’unité principielle. Alors, quelle idée s’en faire ? Elle est le Tout, duquel tout ce qui existe vient et auquel tout retourne dans une sorte de mouvement permanent, sans début ni fin. Osons dire qu’elle peut être une énergie qui se diffuse en tout et relie toute chose. Sans début ni fin, elle échappe au temps. Peut-on en avoir conscience puisque nous appartenons à ce Tout ? Nous n’en avons pas conscience en général. Peut-on participer à ce Tout en conscience ? L’homme, qui peut avoir conscience de sa conscience, doit savoir lâcher sa rationalité par l’Initiation, et réapprendre à vivre non plus en tant qu’individu mais au sein d’une Communauté initiatique. En tant qu’être en quête de Lumière, il peut, avec l’ensemble des frères, développer la parcelle de Lumière qui est en lui et qui le relie à ce Tout non formalisable, mais pourtant bien réel. Cette petite lumière dont chacun est porteur dès sa naissance, fait partie de l’unité principielle.
Les fonctions créatrices sont au nombre de Neuf, nombre de la réalisation en perfection. Huit est l’accomplissement de la Genèse (l’Ogdoade : « Je suis Un qui devient Deux, Deux qui devient Quatre, Quatre qui devient Huit, mais je suis toujours Un dans ces transformations ») alors que Neuf est l’achèvement du divin dans toute sa plénitude, c’est à dire l’œuvre. Aucune œuvre ne peut se faire sans ce Nombre, sans les fonctions créatrices qui déploient les Lois causales ; il est la complétude des puissances créatrices. Par exemple, en hébreu, la racine du mot Neuf, dans les mots composés, a le sens de paix, de perfection. Dans la culture bantoue, ce Nombre est la perfection et la plénitude et en Chine, « Neuf est l’arrivée à la complétude. Tout a été déployé, organisé, achevé à maturité » (Tchouang Tseu). Même la Franc-Maçonnerie a évolué sur ce point : dans un rituel de 1789, il est dit : « Où avez-vous été reçu maître ? Dans une loge parfaite. Quels sont ceux qui composent une telle loge ? Neuf, désignés par les neuf lumières ». Il y est dit également dans le degré de troisième élu : « Que signifie le Neuf ? Les neuf maîtres, âge parfait d’un maçon ». De même, il y eut neuf fondateurs de l’ordre du Temple. Enfin, pour s’arrêter dans ces exemples, dans la première parabole à la fin de la « Tourbe des Philosophes », Pythagore assembla neuf disciples choisis parmi les plus studieux...
Pour aborder les neuf fonctions, reflets de l’unité primordiale, il faut s’intéresser aux formulations des différents mythes de création qui formule cette Unité principielle. Pour cela, reprenons les formulations selon l’Égypte ancienne. On a reconnu à l’Égypte pharaonique quatre principaux centres d’initiation. Chacun a véhiculé un aspect du mythe de création en mettant l’accent sur un version particulière de la formulation du Un et du retour au Un. Aucune n’a éclipsé les autres ; elles ont coexisté et se sont complémentées. Elles formulent le mythe de trois manières. La première, à Héliopolis, est en relation avec le Soleil, et montre la révélation pure et simple de l’acte créateur par l’Ennéade, issue du Noun incréé, qui se dérive en neuf Neters, les forces principales en action dans la construction et l’équilibre de l’Univers. « psdj » signifie neuf et « psdjt » Ennéade, les neuf dieux primordiaux qui forment l’escorte lumineuse de la Lumière divine, ce qui lui permet de rayonner. Celle-ci, le Principe créateur, est désignée sous le nom d’Atoum, qui signifie à la fois celui qui est et celui qui n’est pas encore. Atoum va projeter l’univers en lui-même, sur sa « propre paroi interne ». La création au complet est interne. Puis Atoum se projette hors de Noun, qui représente les Eaux cosmiques. C’est l’Offrande Primordiale, et, en s’offrant ainsi, en mourant à lui-même, l’Univers paraît. L’offrande est la base de tout acte créateur ; cela est enseigné dès l’apprentissage. Ce premier mouvement de prise de conscience aboutira finalement à l’Homme. On peut donc dire que l’Homme est présent dès le départ : L’Homme primordial, l’Homme cosmique, l’Homme royal est Atoum. L’Homme réalisé, le Vénérable Maître, est une image, un reflet de cet Homme cosmique. Cela est possible lorsque nous sommes en fonction dans le temple et que nous remplissons nos offices.
La second version, à Thèbes (Ouaset), en relation avec la Lune, met l’accent sur la mise en forme de la création. La Trinité cosmique est représentée par Amon, Mout et leur fruit Khonsou, dieu lunaire. Atoum, l’Homme cosmique renaît donc en tant que Khonsou, l’Homme réalisé sur terre, qui fait surgir Horus, le porteur de lumière (Lucifer).
La troisième révélation, à Memphis, en relation avec l’Univers, vient tout préciser et définir le fruit de la genèse. Là s’accomplit l’expression finale du devenir de l’Homme cosmique. Alors que la révélation d’Héliopolis se réfère à la création en elle-même, celle de Memphis va plus loin dans le sens de la matérialisation. Ce que Héliopolis nomme Atoum, Memphis le nomme Ptah, le patron des Artisans. Ce mythe est en rapport avec la voie artisanal que nous vivons. Un texte de l’Ancien Empire dit : « Les neuf Neters sont les dents et les lèvres dans sa bouche (de Ptah) qui dit le nom de toutes choses. La vue des yeux, l’ouïe des oreilles, le souffle du nez, cela est communiqué au cœur. C’est ce qui permet à toute connaissance de paraître et c’est la langue qui répète ce que pense le cœur ». Ptah est le Verbe créateur qui nomme ce qui était en germe dans le cœur (Atoum). Le but des initiés est d’être « Fils de Ptah », des suivants de Ptah. Cet accomplissement, cette perfection qu’est Hotep (offrande, paix, satisfaction), inversion du mot Ptah, et donc action de Ptah, est en relation avec les fonctions de création ; quand les neuf fonctions sont actives, alors le feu des dieux descend du ciel. Neuf est alors le nombre de l’accomplissement, de mener à terme l’action. Cet accomplissement sera plus tard nommé Horus, l’Homme accompli, celui qui a accompli le voyage de retour à l’Un, l’Homme royal : tous les Vénérables Maître seront dès lors considérés comme l’incarnation de Ptah, celui qui fait descendre le Feu sur terre. Ptah est le maître d’œuvre de la création.
La quatrième, à Hermopolis, permet l’union des trois autres. L’aspect aquatique et mercuriel ressort ici. Il est question de l’Eau vive d’où émerge le soleil. Les huit principes d’Héliopolis, l’Ogdoade (ajoutés à Atoum ils deviennent neuf) émergent du limon, fait de l’Eau et de la Terre, et changent de nom. Ils sont quatre couples : Noun et Nounet (les Eaux primordiales, l’inertie), Heh et Hehet (l’infinité de l’espace), Keh et Keket (les ténèbres) et Amon et Amonet (celui qui est caché). Ce mythe reprend les thèmes d’Héliopolis et de Memphis en faisant le lien avec ceux de Thèbes, par l’intermédiaire de Thot, celui qui éclaire tout, le scribe des annales de l’Ennéade. Scribe divin, il a transmis aux hommes toute science : astronomie, mathématiques, architecture, médecine, rituels, etc. Il est le maître de la langue sacrée. Il est le patron de tous les prêtres et de tous les scribes. En ce sens il est donc aussi le patron des fonctions qui officient dans le Temple.
Le Neuf est présent en Loge par les offices : tous les principes créateurs sont manifestés ; le Un est dans la pleine possession de ses moyens de transmutation. Cela nous plonge dans les Grands Mystères, dans la connaissance des causes et de la Cause dans son aspect le plus conceptuel et donc opérationnel. Mettre en œuvre ces fonctions créatrices dans le rituel autorise la Communauté initiatique à créer et à avoir la vision de l’origine, de la Cause : tout est bien donné à tous les frères, même apprentis ; aucun n’est privé de ce dont il peut avoir besoin pour percevoir. C’est à chacun d’en profiter ou non. « Que celui qui a des oreilles entende... ». Remarquons que le mot Ennéade est homophone de « pélican », le surnom d’Osiris ; cet animal se perce le cœur pour entretenir la vie de ses trois petits. Ainsi, l’âge de l’Apprenti naît du fait que l’Ennéade verse son sang pour donner vie à l’éternité, pour transmettre la vie. Le pélican est le symbole de la Pierre Philosophale. Tout ceci est bien alchimique puisque dans cet art, le pélican est l’appareil de distillation avec un long bec et un long cou, et il faut deux pélicans dont le nez de l’un entre dans le ventre de l’autre. Ainsi s’accomplit le processus alchimique qui fait apparaître le lieu de l’Origine. Les Neufs fonctions sont donc les neuf polarités de la force d’Amour issue de l’Unité principielle qui se formalisent par les neuf fonctions suivantes : La résolution des contraires (Premier Surveillant), la dualité (Second Surveillant), la putréfaction (Trésorier), la communion (Hospitalier), la mémoire du passé (Secrétaire), l’imprégnation cosmique (Orateur), le mouvement (Maître des Démarches), l’ordre de manifestation (Expert), l’évolution et la purification en tant que fonction double (Couvreur intérieur et extérieur). Elles sont complémentaires et agissent ensemble pour assurer une dynamique créatrice et l’Harmonie sous toutes ces formes. C’est bien dans la complétude d’action de ces forces que l’Harmonie peut s’exprimer et perdurer. Toute Loge qui fait vivre ces neuf fonctions demeure juste et parfaite, c’est-à-dire en accord avec la Volonté du Principe, en cohérence avec la Règle et en Harmonie avec l’Univers.
Mais revenons au mot central de ce sujet : reflet. Du latin « reflectere », tourner en arrière, courber en arrière, retourner. Richelet le définissait ainsi : « Ce qui est éclairé dans les ombres par la lumière que renvoient les objets voisins et éclairés ». Chaque chose ne peut être perçue que par son reflet. C’est tout le mythe de Narcisse : se penchant sur l’eau calme, il se voit ; en simple observateur, s’il ne voit que son apparence, il tombe amoureux de lui-même, se penche et se noie. S’il avait su voir son essence avec le cœur, il aurait aperçu sa parcelle de Lumière dans son reflet et aurait commencé à percevoir un élément de l’unité. Comprendre que ce que l’on perçoit n’est qu’un reflet du réel, non seulement peut donner accès à l’essence de tout ce qui existe dans le monde créé, donc à la conscience, mais aussi à la manière dont les choses se créent et donc à l’action des fonctions créatrices.
Le reflet est une lumière réfléchie, presque une image, sauf que l’image, si elle n’est pas donnée par un miroir, est moins exacte car non liée à la source. En fait, le seul réel est l’incréé ; toute manifestation est transitoire. Les fonctions créatrices sont le reflet du Principe dans la manifestation qu’elles produisent, comme la Lune reflète la lumière du Soleil tout en lui donnant une coloration propre. Le Principe se contemple en nous car l’univers est un immense miroir dans lequel il se reflète. C’est ce que dit saint Bernard : « Il ne nous est pas permis de voir Dieu autrement que par reflets et symboles ».
La notion de reflet implique la présence d’un « récepteur » pour recevoir et restituer de la manière la plus pure la Lumière. La qualité des images restituées dépend donc de la pureté du miroir. La Règle est le reflet des lois de la création, ce qui en fait le miroir. C’est donc en la pratiquant que les frères investis d’une fonction créatrice deviennent porteurs et donc responsables de la Lumière divine qu’ils ont reçue et doivent transmettre dans sa pureté.
La Lumière comme le Son se réfléchissent et se déplacent d’un endroit à un autre, selon un jeu de miroir. Un reflet est, en physique, l’image virtuelle formée par la réflexion spéculaire d’un objet sur une surface. La Lumière non seulement se réfléchit mais peut se réfracter en passant au sein d’un prisme. Celui-ci décompose la lumière blanche en plusieurs couleurs ; elle est dite polychromatique. Il révèle ce qui la compose. Les couleurs sont en harmonie car elles émanent toutes de l’unité de la lumière et la manière de les combiner permet de créer le monde et ses nuances infinies. De même, l’unité principielle, par une lumière venue de l’Orient, se diffuse et se fractionne pour révéler ses différents aspects. Les neuf fonctions peuvent être comparées à ces différentes couleurs issues de la lumière blanche.
La vision géométrique de la Tetraktys (symbole du Neuf et non du Dix) ci-dessus montre comment les fonctions créatrices s’organisent autour d’un point au cœur d’un triangle, symbole du 3 en 1. A l’intérieur, d’autres triangles révèlent des connections multiples entre les différents points. Par cette construction, la manifestation reste toujours en contact avec l’unité. Ainsi la création est reliée, en tous points, au point d’origine. En suivant ces liens, on retrouve toujours le chemin de l’Orient. De n’importe quel objet de l’univers, nous pouvons remonter progressivement au Un, à la pensée du Principe.
Le Un est inaccessible à l’homme, en tout cas à l’homme moyen que nous sommes. Mais il nous est offert de voir fonctionner les fonctions créatrices par les offices de la Loge, et donc d’avoir un contact avec la conscience de l’univers, et de peut-être l’enrichir. Chaque fonction créatrice offre une vision particulière de l’Unité. Ensemble, elles permettent de faire circuler la lumière au sein de la Loge, de donner du mouvement, source de vie. L’organisation de cette circulation n’est pas anarchique mais est donnée par la place de chacune et leurs croisements. Cela réalise une sorte de tissage lumineux qui revêt la communauté initiatique et participe à la réunion de l’Homme zodiacal. Il s’établit une dynamique, un mouvement énergétique au sein de la loge. Chaque frère qui tient un office, y trouve son rôle. Les autres frères baignent au sein de ce jeu de lumières.
Cette circulation lumineuse revient vers le Un, mais enrichie. Cela explique que chaque tenue est unique car dépendante de la circulation de la Lumière. Cela permet de comprendre que si une fonction n’est pas assumée, c’est une facette du miroir qui est absente provoquant un déséquilibre ou un affaiblissement de cette circulation. En effet, chaque fonction développe une forme d’énergie, et leur action, ensemble, est synergique. Chacune ne peut exister qu’en fonction des huit autres. Et « C’est par l’action coordonnée de ces neuf fonctions que la vie sous toutes ses formes peut se perpétuer » (Langage initiatique des symboles). Elles perpétuent l’acte créateur, diffusent l’énergie créatrice dans le Temple et font que la tenue est le moment de la création d’un monde en esprit, mais aussi en action et en parole. L’être lumineux est celui qui est dans la Lumière et qui sait respecter la Règle, pratique les mystères et restitue le Verbe qui est la Lumière véritable qui éclaire tout homme. C’est ainsi que l’Être approche l’universel, non plus l’être individuel, mais l’Être communautaire. L’œuvre communautaire est faite pour cela.