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II.1.b L intuition fait percevoir et le Verbe permet de formuler.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’entrée en initiation consiste en l’ouverture d’une porte vers une voie guidant l’initié à

travers l’invisible pour tendre à vivre l’incréé à travers une Communauté

initiatique. L’initié apprend pour cela à utiliser ses sens, matériels dans le monde

profane, mais aussi et surtout ceux qui peuvent lui permettre d’accéder à l’invisible. Il

faut s’ouvrir au monde invisible par les cinq sens immatériels, et laisser le flux de

l’énergie de vie nous nourrir etnous inspirer. L’intuition les synthétise en tant que

capacité d’interaction avec la Connaissance. Ce n’est qu’ensuite qu’il est possible de

formuler à partir du Verbe.


          Comme l’instinct, qui est cependant plus un mécanisme de réaction naturelle,

l’intuition est au-delà de l’analyse intellectuelle. Elle n’est pas logique, et ne relève pas du

mécanisme de la raison. L’initié qui travaille et se nourrit de la Connaissance dans la pratique

communautaire de la Loge, développe son intuition principalement par l’échange avec les

Frères. Celle-ci ne peut jaillir et semanifester concrètement que par une pratique rigoureuse

autour d’un plan de travail inspiré par le Verbe et tourné vers l’Orient. Les paroles des Frères,

inspirées par le Verbe, fécondent des perceptions dans le cœur-conscience. Ces échanges

se font par le travail de chacun lors des tenues, mais aussi à la table du banquet où la parole

continue de circuler. Ils se concrétisent dans le rapport qui est effectué et deviennent ainsi

une formulation du Verbe, qui donne un accès à la Connaissance. Cette Connaissance

formulée devient perceptible par les Frères de la Loge, selon les nombres qui leurs sont

connus, car elle a été vécue dans le Temple par le cœur et le partage. C’est bien par la

fraternité initiatique que nous pouvons passer de notre instinct à notre intuition. Celle-ci est

une porte vers la pensée du Grand Architecte. Elle fait germer des idées en lien avec

l’invisible. Elle établit la liaison entre l’abstrait et le concret, et s’anime par le cœur-

conscience, siège de l’Amour universel. Pour qu’elle se concrétise en concept, il faut qu’elle

se structure, à partir de la Règle et selon les Trois Piliers. L’initié, pour percevoir la réalité non

apparente, doit, en s’appuyant sur le Verbe, faire le lien entre cette idée intuitive et l’Orient. Il

doit ouvrir un chemin de conscience à la conscience.

          Dans la culture hindouiste, le chakra Ajna, est celui de la perception intuitive que l’on

nomme le troisième œil. Il est représenté notamment sur les statues de Shiva, au centre du

front, entre les deux sourcils, par un point, ou même parfois par le dessin d’un œil à la

verticale. Certains chercheurs ont suggéré que ce troisième œil désignerait la glande pinéale

, qui se trouve entre les deux hémisphères du cerveau. Les pinéalocytes, cellules que l’on

trouve dans la glande pinéale, ont en effet une ressemblance avec les photorécepteurs

oculaires. Sur le plan initiatique, ilfaudrait voir ce moyen de perception conceptuel comme le

point au centre du cercle qui est comme une idée qui prend sa source au cœur de la

Ténèbre, et qui s’ouvre pour rayonner et manifester le cercle. Le rituel d’initiation est en

quelque sorte une ouverture du troisième œil. Le néophyte a les yeux bandés et on lui

demande de percevoir autrement.

          Les musiciens qui composent des mélodies ne savent jamais vraiment d’où vient leur

inspiration. Les témoignages de compositeurs donnent souvent une approche intuitive de la

composition musicale. Ils s’appuient sur des instruments de musique pour concrétiser une

mélodie, mais aussi sur leur connaissance des règles musicale et le jeu des nombres.

 

Le thème de ce chapitre concerne davantage la Loge que le Frère car c’est elle qui

maîtrise les énergies. Elle trouve là sa fonction essentielle et toute la méthode

initiatique est au service de cela. La Loge est entrée dans la Connaissance, et

l’intuition des Frères, certes à développer, ne sert qu’à perfectionner celle de la Loge.

          Parmi les Offices, le Couvreur est chargé de « déceler la vérité des êtres et de ne

laisser pénétrer que des hommes de devoir et de Connaissance », donc des Frères pénétrés

de l’objectif ci-dessus. Il est dit que la porte d’Occident est gardée par un Couvreur extérieur

nommé Verbe et un Couvreur intérieur nommé Intuition ; il est dit également par l’Orateur, à

propos du Maître d’œuvre : « Que le Verbe soit dans sa bouche, que l’intuition des causes le

guide » (Rituel de consécration du Temple). La Loge accède, par l’intuition des causes, à la

connaissance du Verbe qu’elle tente ensuite de formuler par la Parole dans le rituel et dans

ses rapports de travaux.

          Le monde profane veut connaître l’univers visible. Nous ne nous intéressons pas à cela

en Loge, mais à l’invisible et à la genèse des mondes, au processus de création. L’intuition

est faite pour cela par une pure pensée capable d’appréhender la réalité dans une vision

directe des êtres et des choses : « intus » = dedans et « tueri » = regarder. Elle s’intéresse à

l’ésotérisme qui signifie « réservé à l’intérieur » dans son double sens de celui du Temple, et

celui des choses, ce qui est caché, invisible. Le sens ésotérique est celui du Temple qui est

notre moyen de voyager dans l’invisible. L’ésotérisme ne passe pas par du savoir mais par du

pouvoir, celui de saisir les choses intuitivement ; il ne s’intéresse qu’à l’aspect spirituel de

l’univers, à ce qui échappe à l’intelligence du cerveau.

          Tout commence par l’intuition dans le Temple, la plus haute faculté initiatique, est-il dit

à la Saint Jean d’Hiver. En effet, lors du rituel d’initiation, le néophyte commence par l’épreuve

de l’Air pour rejoindre le Second Surveillant. La transmission est réelle, mais le néophyte ne

comprend pas, et ne comprendra jamais le phénomène qui le met sur la voie. Le

raisonnement mental doit être mis en pause. Cela se symbolise par le diadème du Vénérable

Maître qui sépare la calotte crânienne où se trouve la volonté personnelle et le mental, de la

perception qui vient du cœur ; le diadème empêche la raison d’étouffer l’intuition.

          Le miroir qui sera tendu au néophyte donne un reflet perceptible du monde invisible et

l’intuition permet de le traverser pour saisir la réalité au-delà de ses reflets. Le néophyte

commence par y voir sa parcelle de lumière, puis le ciel des causes, et enfin la parcelle de

son Frère. L’intuition individuelle doit être dépassée. Un des dangers, évité par la pratique des

rituels et de la Règle, est de la confondre avec l’émotion ; celle-ci submerge les êtres, pure

réaction à un phénomène intense qui concerne les êtres de près ; elle surgit du subconscient

et n’est que le reflet de nos confusions habituelles ; cependant, elle existe et ne peut être

niée, il faut juste en avoir conscience.

          Si l’on reprend le verbe percevoir, dans le contexte de la phrase proposée à notre

réflexion, nous pouvons le traduire, dans le langage des oiseaux, par l’idée que pour voir, il

faut percer, à savoir créer un trou, une fente, pour aller voir au dehors. L’homme, dans son

aspect profane, est enfermé dans une sorte de bulle ; une grande majorité peut y passer son

existence sans en sortir, privilégiant l’aspect matériel avant toute autre chose, ce qui semble

le cas quelle que soit l’époque dans laquelle nous nous situons, syndrome de la caverne

dans laquelle nous nous sentons bien et dont nous ne voulons pas sortir.

          Certains toutefois, animés par une raison qui leur est propre, ont l’intuition qu’il leur

faut aller au-delà de cet enfermement, où de cette sclérose spirituelle. La perception de cette

lumière intérieure, c’est le percé pour voir. C’est ce petit trou qui laisse passer la Lumière

dans notre existence et qui nous pousse à rechercher la porte du Temple, de notre temple

intérieur mais surtout celui de la Communauté, passage obligé pour avancer. Nous pouvons

apercevoir la porte du Temple, mais encore nous faut-il voir ce qu’il a derrière, découvrir

l’envers du décor qui est peut-être bien le réel.

          Percer est aussi un geste qui se fait en force, pour passer au travers. Ce geste est

animé par la notion de vice et de vertu évoquée dans le rituel d’initiation « Rien ne te

manquera si tu possède une volonté vraie et droite », et « Quand l’homme s’édifie, il ne doit

pas commettre d’erreur dans le plan, ni dans le choix des matériaux ». Dans « Le Langage

initiatique des symboles », nous trouvons les éléments suivants : « Découvrir et vivre

l’intuition nécessite un dépassement, un détachement, une transparence, qui demandent des

années de pratique communautaire ». Elle permet de découvrir effectivement l’envers du

décor, de dépasser l’ego (l’intérieur de la bulle), pour aller vers le dépassement, le

détachement. Elle est la perception directe de ce qui est immatériel, une connaissance

immédiate du monde des causes et de la justesse des choses. Aussi siège-t-elle dans le

cœur-conscience, centre vital ; c’est une voie de pensée qui constitue la voie brève.


          Ainsi l’intuition nous ouvre les portes de l’abstrait, mais il faut également formuler, car

notre démarche n’est rien sans la formulation, source de transmission et de concrétisation.

Précisons que l’intuition de la Loge est supérieure à la somme de celle des Frères ; il y a

synergie. Le Grand Architecte de l’Univers et la Veuve nous ont transmis le Verbe issu du

Principe et expression de la conscience universelle. Celui-ci se transmet de lui-même, sans

avoir besoin des hommes. Rappelons-nous les paroles du Prologue de Jean : « Dans le

Principe est le Verbe… ». C’est la première manifestation de la Sagesse qui s’exprime par la

force du Verbe, « Et le Verbe s’est fait chair ». Il permet la transmission de la Connaissance.

C’est donc en pratiquant l’art du Verbe, au sein de la Communauté initiatique, que nous

pouvons formuler.

          La Loge accède, par le plan d’œuvre, à l’idée qui résulte de l’émission verbale des

Frères, d’où l’importance des questions posées en Loge par les Frères et qui prolongent ce

qui a été travaillé individuellement ; l’oralité est indispensable. Ce n’est qu’ensuite que la

pensée de la Loge prend forme complète par le rapport des travaux ; ce qui est pressenti par

les Frères devient conçu clairement si le rapport est bien structuré. Il devient Parole qui n’est

plus perdue, du moins pas pour tout le monde.

          Le Verbe est par nature informulable, et au-delà même de l’entendement, et pourtant 

le rôle d’une Communauté initiatique est de le faire circuler, de l’animer et de lui donner vie au

cœur du Temple. L’expression du Verbe passe donc par le cœur-conscience, à l’écoute de ce

qui émane du Principe. C’est au travers du Mythe qui fonde les rituels que nous pouvons

nous approcher du Verbe et le formuler en Harmonie avec la Règle. Par l’initiation, on reçoit le

don du Verbe. Seul, nous ne pouvons que le trahir. De là vient la nécessité du don de soi au

Grand Architecte par l’intermédiaire d’une Communauté initiatique. Le travail y consiste à se

préparer à recevoir le Verbe, en suivant la Règle. Il s’agit de le retrouver dans la conscience

comme dans le Temple, symbole de l’Univers. Ainsi se crée un état de perception qui permet

de travailler en reliant les symboles, en créant les outils par l’art du trait et en formulant les

rituels.

          On peut aussi parler de Verbe géométrique. Les bâtisseurs du temps passé ont utilisé

cette approche et la Chambre du Trait la prolonge. Formuler, c’est nommer, prononcer le

Verbe. Verbe, Vie et Lumière sont consubstantiels au Principe. Le Verbe crée la Vie et se

manifeste par la Lumière. En fait la création entière n’est faite que de Lumière. Mais celle-ci

vibre de manière différente, se condense plus ou moins, formant ainsi toute matière et

notamment la pierre. « Elle est cachée dans la Pierre » dit un rituel. Il appartient aux

hommes de la percevoir, de percer la Pierre pour voir ce qui se passe dedans, aller de

l’intérieur à l’extérieur, mais par une formulation qui progresse par une compréhension des

mystères, donc en suivant une spirale ascendante et descendante, parfois matérialisée par

l’échelle de Jacob, peut-être cependant trop rectiligne pour traduire cette notion.

          Paracelse dit « qu’aucune chose n’a atteint naturellement la réalisation totale de ce

pourquoi elle est faite ». C’est aux Initiés que revient le rôle d’accomplir les choses et de les

mener à un terme.


          Le Verbe est en tout et le Verbe est à l’origine du Tout. Il accompagne la création dans

tous les instants, et pourtant, rien n’est plus difficile que de percevoir les multiples

expressions du Principe qu’il incarne, à tel point qu’il est nécessaire d’utiliser un langage

particulier pour l’appréhender et tenter de le formuler. Ce langage doit être en capacité

d’éveiller et de nourrir en permanence l’intuition, afin que Verbe et formulation soient

indissociables. Il doit être en mesure d’intégrer et de formuler des paroles de vie, afin qu’elles

deviennent Verbe et Lumière pour tous ceux qui ont pour métier la Tradition initiatique.

          Ce langage, qu’il nous faut sentir et non comprendre, c’est celui des symboles qui

permettent l’éveil de la conscience intuitive ainsi que l’approche des concepts de création. La

transmission ne se fait que par la perception intuitive et le symbole est idéal pour cela. Ce

langage est fait pour bloquer le mental et rendre perplexe, et dans l’état de perplexité, il n’y a

pas d’autre moyen pour s’en sortir que de se laisser aller aux mouvements spontanés de

l’intuition. D’un point de vue pratique, les symboles se mettent en œuvre et agissent un peu à

la manière des mantras, et la Communauté se doit de baigner en eux, de les vivre de manière

incessante et de les utiliser en permanence à partir des rituels et de la Règle. En effet, : « La

Règle, d’origine Divine, est la formulation de la loi d’Harmonie qui régit toutes les formes de la

Création dans le respect total de la volonté du Principe Créateur ». Il nous faut entrer dans la

Connaissance, dans le livre fermé où se trouve le Verbe, et la Loge peut formuler pour faire

apparaître le livre ouvert. Il va être ainsi possible de nommer magiquement les êtres et les

choses, d’en connaître les nombres.


          L’Égypte ancienne avait bien synthétisé ces notions par Sia et Hou. Sia, représentant

l’intuition, est à l’arrière de la barque solaire qu’il dirige dans son parcours nocturne, en

maniant le gouvernail. L’intuition naît dans le cœur, au centre du processus vital. Étant en ce

lieu, elle est connaissante de tous les chemins et peut donc orienter la barque. Hou

, représente le Verbe créateur, processus de concrétisation. Dans le livre de l’Amdouat, il se

trouve à l’avant de la barque solaire. Hou crée le chemin, le formule pour mener à la

naissance du nouveau soleil. Les ténèbres ne peuvent arrêter le parcours de la barque

nocturne car le Verbe crée en permanence et cette formulation est celle du chemin de vie.

Hou et Sia sont les dieux qui guident le soleil dans ses transformations nocturnes jusqu’à

ce qu’il sorte régénéré et victorieux à l’aube. Ils sont donc les noms des deux pilotes qui

dirigent la barque nocturne de Rê, dans sa navigation souterraine.

          A l’image de cette représentation, à chaque fois que Pharaon prend une décision, il

est animé par deux forces divines : Sia, le discernement, et Hou, la parole créatrice, deux

forces imbriquées en une seule, la magie qui fait advenir ce qui est conçu et énoncé.

          On peut mettre en relation les deux colonnes du Temple avec ces deux aspects :

l’intuition en rapport avec la colonne du septentrion et du soleil au nord, lieu de l’intériorité,

lieu de tous les possibles, et le Verbe avec la colonne du midi et de la lune au sud, lieu de la

formulation.

          Hou s’écrit avec la corde à trois boucles, expression du ternaire, et avec le poussin de

caille, expression de ce qui naît. Le ternaire fait naître, ce que semble indiquer ce couple de

hiéroglyphes. L’autre partie de ce mot est composé de la défense d’éléphant et du rouleau

scellé. Il y a une analogie entre la défense d’éléphant et l’origine. Éléphantine est le premier

nome de l’Égypte, le plus au sud, le lieu de l’expression de la puissance créative de la

puissance du Nil, du Verbe créateur qui va inonder la terre et la rendre fertile. Le rouleau

scellé est l’expression du secret. La défense se trouve sur le secret ; elle défend la

formulation qui est dans le secret, l’abstrait. Ce hiéroglyphe peut se traduire par « les trois

liés », donc « le trois en un », qui donne naissance à la formulation de l’abstrait. Le « trois en

un » est donc la clé qui permet d’accéder au Verbe.

          Sia s’écrit avec ce qu’on dit être une pièce de tissus avec des franges, ou un tapis en

cours d’élaboration. Ce qui est remarquables sur ce hiéroglyphe, c’est la diagonale interne du

rectangle et les quatre tirets qui en sortent sur le côté gauche. L’intuition permet de voir la

racine des choses. N’est-ce pas ce que nous permettent la géométrie sacrée et l’art du trait?

L’intuition est ici exprimée au cœur d’elle-même. Sia est la synthèse de voir et entendre. Voir

, c’est capter la lumière, mais aussi créer, car pour créer il faut être un voyant. C’est pour

cela que l’intuition guide la barque dans son voyage. Entendre permet d’apprendre, mais

aussi de percevoir l’inaudible, ce qui est dans le secret, dans le concept, d’entendre la voix

intérieure qui guide, d’entendre la Règle. Sia est une manifestation de la Règle. Sia, synthèse

de Maa, personnification de la vue, et de Sedjem, personnification de l’ouïe, et Hou, le Verbe

créateur, s’unissent à Héka, la magie divine qui suscite la vie, permet au démiurge d’imaginer,

d’énoncer et d’ordonner la Création.

 

Éditions du Léopard d’or


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