"Que chacun aille à la place qui est la sienne. L homme et la femme deviennent diables l un par l autre s ils ne séparent pas leurs chemins spirituels, car l essence de la Créature, c est la différenciation" (Les sept sermons aux morts. Sermo V. CG Jung)
Que des hommes se mêlent de parler d’initiation féminine relève de la gageure. Que l’on se rassure, il n’est pas dans notre propos de formaliser le processus initiatique féminin. Il appartient aux femmes, et à elles seules, de redécouvrir leur voie vers la connaissance.
Nous pouvons, par contre, les aider à démarrer leur recherche par ce que nous savons de la tradition, et de quelques éléments qui sont parvenus entre nos mains. Mais nous ne voulons pas recommencer l’hérésie des loges d’adoption qui ont servi à des hommes imbus de leur supériorité à garder la mainmise sur leurs épouses, sœurs, mères, amies ou autres concubines. Compte tenu du contexte de l’époque, il n’était pas pensable à leurs yeux que ces dames puissent être indépendantes et voler de leurs propres ailes. Cela révélait plutôt un réflexe de peur ou de vanité masculine, indigne, toutefois, d’initiés ou prétendus tels.
Les femmes d’aujourd’hui n’ont pas la chance des hommes, celle de disposer d’une tradition fidèlement transmise depuis la nuit des temps. La chaîne s’est rompue à la fin du Moyen Âge. Néanmoins, toutes les données sont plus ou moins disponibles, que cela soit en Égypte ancienne, puis dans les mondes grecs et latins avec les mystères isiaques, les amazones, les vestales ... jusqu’aux abbayes de femmes dirigées par une abbesse.
Avec la fin du Moyen Âge et la Renaissance disparaît la conception harmonieuse d’une égalité, d’une complémentarité entre les deux sexes. Le mâle doit assurer sa suprématie dans tous les domaines. Cette perte du sens de la réalité profonde entraîne la disparition des voies féminines ésotériques vers la Connaissance. La femme n’a plus la possibilité ni la liberté de rejoindre ou former des communautés initiatiques spécifiquement féminines. Les mythes, rites et symboles se dissolvent pour disparaître totalement. Tout semble devoir être retrouvé et reconstruit.
Ce sont les jeunes initiées qui auront cette lourde tâche. Beaucoup trop de leurs aînées sont tombées, à l’image des hommes, dans le matérialisme, le rationalisme et l’administratif. Certaines ayant subi la magie d’un rite masculin, ont été imprégnées des vices de ce sexe et sont tombées dans le piège de la « cordonnite », avec tout ce que cela sous-entend comme appétits de toute sorte. Cette course au pouvoir n’est pas, en effet, inscrite dans la nature féminine.
Il ne faut pas se faire d’illusion ; la route vers une initiation féminine libre et autonome sera longue et difficile. Notre propos est donc de faire réfléchir sur une proposition afin d’éveiller le désir initiatique chez nos sœurs.
Sa nature spécifique
La véritable nature de la femme, son essence profonde, est symbolisée par la Vierge à l’enfant, celle qui engendre le Roi du Monde. Ce symbolisme dérive en droite ligne de la déesse Isis. Après avoir remembré Osiris, son époux assassiné, c’est-à-dire après avoir reconstitué le puzzle de la connaissance, elle a été fécondée pour donner naissance à Horus, homothétique ancêtre du Christ. C’est à la fois la « Nature naturée et naturante », c’est la Veuve sans laquelle aucune création terrestre ne serait possible.
Synthétiquement le cercle est le symbole qui régit la fonction féminine. C’est lui qui a donné naissance au symbole de la coupe, élément récepteur par excellence. Du réceptacle à la matrice, il n’y a qu’un pas à franchir. La nature féminine est en effet la matrice gestatrice qui enfante la création après avoir été fécondée par le Grand Architecte de l’Univers. C’est ce qu’exprime le « Fiat » de la tradition chrétienne.
Le mythe qui a prévalu depuis des millénaires, en Occident du moins, est de nature solaire. L’Écossisme en est l’héritier. Nous proposons à la voie féminine de le garder, tout en en faisant découler des rites spécifiquement féminins, mais basés sur le cercle et non plus sur la pyramide hiérarchique des hommes.
En effet, les voies masculine et féminine ne sont pas indépendantes mais entrent dans une cohérence. Nous jetons ci-après quelques bases pour faire revivre l’aspect complémentaire qui manque à l’Écossisme pour s’épanouir en plénitude. Nous ne proposons pas de changer d’univers en évoquant des mythes lunaires, voire polaires, pour lesquels il n’existe plus, à notre connaissance, de voie masculine occidentale.
Quelques fondements
Nous disposons heureusement de quelques legs traditionnels faisant état de communautés initiatiques féminines dans l’antiquité, ainsi que de fondements « raisonnables» et universels.
Le Verbe créateur, en premier lieu. En Occident, pour les femmes comme pour les hommes, il s’agit de vivre une tradition du Verbe, celui évoqué par le Prologue de Jean, et où il est dit que « le Verbe est la Vie et la Vie est la Lumière des Hommes ». Il faut donc formuler l’informulable pour vivre l’initiation et transmettre son enseignement.
La Connaissance, en second lieu. Il s’agit, comme pour les hommes, de rechercher les lois universelles de la Connaissance, pour connaître les causes et tenter de vivre dans la Cause.
La Sagesse, enfin. Il y a une référence suprême nommée Sagesse, source de toute vie, et qui est l’équivalent du Grand Architecte de l’Univers pour les hommes. Sagesse et Grand Architecte sont tous deux issus du Principe de Création (« Dans le Principe est le Verbe, et le Verbe est avec Dieu, et le Verbe est Dieu » du Prologue de Jean). Il n’y a aucune référence au Grand Architecte dans l’initiation féminine, la Sagesse permettant à la femme de remonter directement au Principe. La Sagesse a créé la Règle, et dès lors s’y est soumise.
Le Sept
C’est le Nombre de la Femme (cf. ce Nombre dans l’onglet « concepts » du site). Les rituels devront ainsi s’inspirer de « l’Étoile à Sept branches, ou Heptagone ». Toute l’initiation féminine est donc ainsi basée. Bien que devant connaître les autres Nombres, l’initiée vit et pense selon le Sept, symbole de la vie en esprit. L’étoile à sept branches, gravée dans le corps et l’esprit de la femme, permet d’approcher les lois de l’univers, de les vivre et d’incarner le don de la vie. Selon Philon d’Alexandrie, « le Sept n’est ni producteur, ni produit » (c’est-à-dire qu’il est toujours vierge et qu’il n’a ni père ni mère), ce qui fait immédiatement penser à la Vierge, à la Veuve, à Isis ...
L’initiation féminine consiste en la connaissance de sept symboles fondamentaux d’essence féminine ou « sciences ». Ces sciences correspondent aux Arts libéraux issus de la Sagesse. Ce sont les manifestations de la Sagesse, chacune étant à la fois une partie et la totalité de la Sagesse. Au Moyen Âge, la philosophie ou amour de la Sagesse, était représentée par une femme occupant le centre d’un cercle divisé en sept parties.
Ces sciences sont :
• Le Verbe (la Grammaire qui est l’art du Verbe)
• La Tradition (la Rhétorique qui permet de formuler les concepts)
• L’Intelligence du Cœur (la Dialectique qui concilie les contraires)
• L’Harmonie (la Musique qui exprime l’harmonie divine)
• Le Nombre (l’Arithmétique qui agence les Nombres)
• La Géométrie (ou mesure de la terre et de la création)
• L’Astrologie (langage de l’univers ; l’astronomie ne s’en distingue pas au Moyen Âge).
On peut remarquer, par rapport à l’initiation masculine, que la Magie et l’Alchimie n’apparaissent pas. En effet, la femme est magique par nature (cf. Isis, la grande magicienne) et vit naturellement l’alchimie (en faisant don de la vie, elle transmute les formes). Ces deux sciences n’ont donc pas besoin d’être approfondies pour permettre la réalisation de la femme.
Le Cercle et la Hiérarchie
Autre symbole spécifique de la voie féminine est le Cercle. Symbole de la matrice originelle, le cercle a toujours joué un rôle dans l’initiation féminine. Les initiées, dans le Temple ou à la table des banquets, sont disposées en cercle. Là, il n’y a pas de préséance, pas de hiérarchie structurée comme pour l’homme. Cependant, la démarche initiatique féminine est ainsi organisée :
• Pré-Initiation : comme pour l’homme, on ne peut s’engager à la légère, sans vérifier l’adéquation entre la communauté et la femme qui postule. Il faut une certaine préparation, un travail, un échange.
• Noviciat : Il s’agit d’apprendre et découvrir la Règle. La novice reçoit une ceinture et fait l’apprentissage du Nombre Six. Il n’y a pas encore d’engagement proprement dit.
• L’Initiation : C’est l’entrée dans le Temple. La femme devient une Sœur. Toutes les initiées sont identiques dans le Temple. Cependant la nouvelle initiée est au silence. Ce n’est que plus tard qu’elle recevra, rituellement et selon son évolution, « le don de Parole dans le Temple ».
• Le Collège : Il est formé de sœurs choisies par cooptation. Le Collège élit les sœurs qui occuperont chaque fonction, correspondant aux sept sciences.
• La Rectrice : élue ou réélue chaque année, à l’unanimité, parmi les membres du Collège ; elle dirige la communauté.
Les Rituels
Il semble judicieux de penser qu’à l’image de certaines communautés féminines africaines, et en fonction de ce qui a été dit sur le cercle, le Temple doive être symboliquement circulaire et non pas rectangulaire.
Dans ce Temple où se réunissent les sœurs, brille une flamme centrale qui génère sept piliers, porteurs des sept symboles de la Sagesse. Ce sont les sept Colonnes du Temple de la Sagesse. Une sœur, la « Porteuse de Lumière », anime successivement les sept symboles en allumant les étoiles de chaque pilier à partir de la flamme centrale. Les sœurs sont disposées en cercle autour de la Sagesse, et les fonctions sont près des piliers. En prenant la parole, les sœurs s’adressent à la flamme centrale. Il y a une sœur « Gardienne de la Porte » qui protège le Temple.
Le rituel d’initiation consiste à passer du Six au Sept, à ouvrir les sept portes et à s’engager solennellement devant la Sagesse. Il y a ainsi sept voyages correspondant aux sciences. La voie féminine est celle du septénaire.
Symboles
La coupe a un rôle important, notamment à la table des banquets où circule une coupe de vin. C’est la coupe qui contient le trésor de la communauté, l’essence et le but de l’initiation.
Lors du rituel d’initiation et de l’entrée dans le Temple, la nouvelle initiée reçoit un bracelet de fer qui scelle son appartenance à la communauté.
Un indice important, hérité des siècles passés, paraît bien être caché dans les tapisseries de « La Dame à la Licorne » du Musée de Cluny. Au-delà d’une banale explication esthétique, ces tapisseries transmettent vraisemblablement un message ésotérique concernant l’initiation féminine. Il y a trop de symboles inscrits (et cachés) pour n’y voir là que le seul régal des yeux. Celui de l’esprit doit pouvoir y trouver son compte. Là aussi, un énorme travail de réflexion, de méditation, de perception intuitive est à accomplir.
À titre d’exemple, si l’on examine la tapisserie dite « À mon seul désir », une similitude s’offre immédiatement à l’initiée, sous forme d’interrogation. Ne s’agit-il pas là de la transposition féminine de l’inscription mise par François Rabelais au fronton de l’Abbaye de Thélème : « Fays ce que voudras ». C’est là la devise du Maître réalisé qui exécute ce que sa volonté lui ordonne. Celle-ci a perçu le sens de la création, s’est soumise à l’ordre divin et n’agit que dans le scrupuleux respect de la Loi d’Harmonie. Nous sommes aux antipodes de la conception dégénérée moderne de la liberté, laquelle est confondue avec l’indépendance.
La clef globale est que la Sagesse crée la vie et le monde par sept Paroles. Son Verbe tisse l’univers et notamment la manifestation où l’espace est le fil de chaîne et le temps le fil de trame. Comme l’homme devient un Osiris, la femme devient une Hathor. Cette déesse lointaine, œil du soleil créateur, part au loin, laissant le monde à la stérilité et au malheur, et finit par revenir pour réintégrer l’œil divin. Les deux voies passent par la mort et se rejoignent pour célébrer le mariage alchimique.
Voilà donc quelques pistes que seules des femmes pourront explorer afin de retrouver la dimension spirituelle qui leur est propre. Cette spécificité n’entraîne pas pour autant le rejet des symboles qui sont d’ordre universel et, comme tels, communs aux deux voies, tels les luminaires, la Lumière ...
Car, rappelons-le, toute initiation repose sur une conception spirituelle de la création. Prendre l’espèce humaine comme seul objet de contemplation est l’erreur majeure de notre temps. L’hérésie de l’humanisme doit être, tel un « Veau d’Or » moderne, dépassée sinon détruite.